lundi 1 septembre 2008

Freud et les Troubles Sévères du Langage

Le parcours que je vous propose, entre psychanalyse et neurosciences, est loin d'être complètement balisé d'avance. La feuille de route n'est pas tracée dès le départ et toute suggestion pour une étape, un itinéraire particulier est la bienvenue.
J'ai souhaité débuter ce cheminement par un texte de Freud, «Contribution à la conception des aphasies», lequel ne constitue pas une de ses œuvres majeures, mais qui a la particularité de se situer dans une période dite pré analytique et qui introduit assez bien la problématique que je désire vous soumettre. Comme il est écrit en quatrième de couverture : «Des notions aussi centrales que appareil psychique et représentation de mots trouvent dès lors un éclairage nouveau à la lecture de cette étude qui, loin de confirmer la séparation, réclamée par Freud lui-même, entre des discours neuro-anatomique ou neurophysiologique et une théorie psychanalytique, relance la question de leurs rapports intriqués».
Je dois avouer que le choix de ce texte portant sur les aphasies m'a paru d'autant plus intéressant que, sur le terrain concret de notre pratique, des oppositions très sensibles se manifestent à ce jour autour des troubles des apprentissages, des «Troubles sévères du langage», pour reprendre une terminologie très actuelle, des syndromes en "Dys", au premier rang desquels nous retrouvons les dysphasies, mais aussi les dyslexies, les dyspraxies… autant de notions qui ont souvent le don d'irriter les tenants d'une approche psychodynamique.
Assurément, nous avons affaire dans ce travail à un Freud neurologue, d’avant l’avènement de la psychanalyse. La clinique qu’il développe se fonde sur des lésions cérébrales avérées, dont la nature exacte n’est le plus souvent révélée qu’à l’autopsie. De nos jours, grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, il est heureusement permis de connaître la localisation précise et l’étendue des lésions, sans attendre le décès du patient. Freud engage un dialogue avec les neurologues parmi les plus réputés de son époque parmi lesquels on retiendra facilement Broca et Wernicke qui ont donné leur nom à des aires cérébrales dévolues au langage ainsi qu’à deux types très différenciés d’aphasie.

Il n’est pas utile de s’attarder sur l’objet de la discussion de Freud qui est quelque peu daté ; à une vision statique et morphologique qui rattache une fonction à une zone précise du cerveau, il oppose une vision dynamique qui souligne l’importance des connexions entre les différentes aires cérébrales. Il défend finalement une conception très actuelle de la neurophysiologie et, si on entre dans le détail du texte, on peut même trouver des idées d’une grande modernité.
Je tenterai d’en donner un exemple dans ce court extrait, malgré peut-être un abord rendu difficile par le fait qu’il se trouve sorti de son contexte :
«Sans doute ne devons-nous pas concevoir la compréhension des mots en cas d’incitation périphérique comme simple transmission des éléments acoustiques aux éléments d’associations d’objet. Il semble plutôt qu’au cours de l’écoute compréhensive, l’activité associative verbale soit incitée en même temps, de sorte que nous répétons, en quelques sorte, intérieurement ce que nous avons entendu et que nous étayons alors simultanément notre compréhension sur nos impressions d’innervation du langage. Un degré plus élevé d’attention lors de l’écoute s’accompagnera d’un transfert plus important de ce qui a été entendu sur le faisceau moteur du langage. On peut imaginer que l’écholalie se produit lorsque la conduction de l’association vers les associations d’objets rencontre un obstacle. Alors toute l’incitation s’extériorise dans une répétition plus forte, à haute voix».
Si je comprends bien ce que dit Freud dans ce court passage, lorsque nous écoutons des mots, nous ne nous contentons pas d’associer la perception auditive à des représentations mentales des objets correspondant à ces mots, mais nous activons les zones motrices qui permettraient de prononcer ces mots, laquelle activation participe à la compréhension de ce qui est entendu. Freud ajoute que, si un obstacle est rencontré dans ce processus de compréhension, le renfoncement de l’activation des zones motrices peut aller jusqu’à une répétition à haute voix des mots entendus, ce qui caractérise le phénomène d’écholalie.
Pour ma part, je trouve difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qu’avance Freud dans ces quelques lignes et les découvertes récentes sur les «neurones miroirs». Par ailleurs, l’hypothèse faite sur le mécanisme de l’écholalie reste encore très séduisante.
Le caractère visionnaire de Freud pourrait être attesté par d’autres exemples, mais là ne réside pas le seul intérêt de sa «Contribution à la conception des aphasies». Bien que relevant pleinement du champ de la neurologie et malgré la volonté de Freud de ne pas inclure ce texte dans le corpus de la psychanalyse, il est bien évidemment assez tentant de le considérer à la lumière des développements ultérieurs de la théorie freudienne, d’y reconnaître en germe ce qui constituera des concepts importants de la théorie analytique et de dégager une sorte de fil conducteur entre une approche neuropsychologique initiale et l’approche psychanalytique ultérieure...

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