jeudi 30 octobre 2008

«L’homme neuronal» selon S. FREUD

Non, non, je vous rassure, je ne suis pas en proie à une grave confusion mentale et en train de m’embrouiller dans mes références… Au risque de me montrer provocateur, une fois de plus peut-être, j’avancerais ici que Jean-Pierre CHANGEUX, le véritable auteur de «L’homme neuronal», avait un illustre prédécesseur en la personne du père de la psychanalyse.
Il n’est sûrement pas utile de rentrer dans le détail des réflexions de FREUD autour de sa conception de l’appareil neuronique et nous nous contenterons d’en indiquer les grandes lignes qui peuvent être illustrées par le schéma ci-dessus extrait de L'esquisse.
Le premier point à considérer, c’est que l’unité fonctionnelle qui est ici individualisée correspond à la cellule nerveuse alors que dans le traité sur les aphasies, on se rappelle que la physiologie était envisagée à une échelle supérieure, soit celle des aires du cortex cérébral. Le second point est d’ordre énergétique, l’activité du système nerveux étant rapportée à une circulation d’énergie le long des fibres nerveuses. Le dernier point renvoie au fait que ce flux énergétique doit franchir une barrière de contact pour passer d’un neurone à l’autre. Ces trois points correspondent bien évidemment aux définitions du neurone, de l’influx nerveux et de la synapse dont l’étude a été très largement développée depuis.
Le fonctionnement du système nerveux serait sous-tendu, selon FREUD, par un principe d’inertie et un principe de constance. Le premier vise à réduire le flux énergétique parvenant au système nerveux, toute excitation conduisant à une décharge, sur le modèle de l’arc réflexe ; le second vise à ramener le niveau énergétique à un niveau constant et le plus faible possible, lequel principe peut se rapprocher des notions plus modernes d’autorégulation et d’homéostasie. Dans la théorie psychanalytique, principe d’inertie rattaché aux processus primaires et principe de constance rattaché aux processus secondaires sont, sinon équivalents, du moins corrélés au principe de plaisir et au principe de réalité.
FREUD pointe une contradiction dans le fonctionnement du système nerveux et il s’efforce de dégager un modèle qui permette de la surmonter : pour maintenir une réceptivité équivalente aux diverses perceptions, le système nerveux doit se trouver dans une configuration constante ; par contre, le fait de garder en mémoire les excitations auxquelles il a été soumis doit se traduire par une modification durable à son niveau. Le dépassement de cette contradiction conduit FREUD à différencier deux systèmes : le premier qu’il nomme le système φ se rapporte aux perceptions ; le second, le système ψ est dédié à la mémoire. Les neurones φ sont perméables, n’offrent pas de résistance au flux énergétique qu’ils transmettent en intégralité, se retrouvent donc inchangés après avoir été soumis à une excitation et de ce fait conservent dans le temps la même disposition pour réagir à de nouvelles excitations. A l’inverse, les neurones ψ offrent une résistance au flux énergétique et se trouvent modifiés après son passage : il y a à leur niveau la possibilité d’inscription d’une trace, ce que FREUD désigne du terme de frayage.
Selon la définition du Vocabulaire de la psychanalyse de LAPLANCHE et PONTALIS :
«Terme utilisé par Freud lorsqu’il donne un modèle neurologique du fonctionnement de l’appareil psychique (1895) : l’excitation, dans son passage d’un neurone à l’autre, doit vaincre une certaine résistance ; lorsqu’un tel passage entraîne une diminution permanente de cette résistance, on dit qu’il y a frayage : l’excitation choisit la voie frayée de préférence à celle qui ne l’est pas».
Une définition équivalente se retrouve dans le Dictionnaire international de la psychanalyse sous la direction d’Alain de MIJOLLA
«On appelle "frayage" le passage répété par une même voie d’une excitation qui entraîne une diminution permanente de la résistance à la progression de l’excitation qui devient ainsi la voie préférée des nouvelles excitations».
Selon une mention faire par Josef BREUER dans Les études sur l’hystérie, la notion de «frayage attentionnel» est retrouvée chez Sigmund EXNER en 1894 et FREUD a pu s’en inspirer. Le concept de frayage ne sera qu’assez peu repris ultérieurement, uniquement dans L’interprétation des rêves et dans Au-delà du principe de plaisir. Il est toutefois intéressant de s’y attarder en le rapprochant de ce qui est actuellement décrit sous le terme de «plasticité cérébrale» et qui vient confirmer le rôle essentiel des expériences vécues dans l’organisation cérébrale et son remodelage permanent, considérations qui vont tout naturellement nous conduire à l’ouvrage de Jean-Pierre CHANGEUX.

samedi 25 octobre 2008

Une psychologie scientifique

Je souhaite ne heurter personne avec le rapprochement des deux termes, mais je précise qu’ils se rapportent à un texte de FREUD, même si ce n’est que sous forme de projet ou d’esquisse. Si le titre n’est pas de FREUD lui-même, dès la première phrase, l’objectif recherché ne fait pas l’ombre d’un doute : «Dans cette Esquisse, nous avons cherché à faire entrer la psychologie dans les Sciences naturelles, c’est à dire représenter les processus psychiques comme des états quantitativement déterminés de particules matérielles distinguables, ceci afin de les rendre évidents et incontestables». Il est spécifié un peu plus loin que les particules matérielles en question sont les neurones.
Avant d’examiner son contenu, il peut être utile de présenter ce travail et de mieux le situer dans l’ensemble de l’œuvre freudienne. Ce manuscrit a été intitulé «Esquisse d’une psychologie scientifique» et publié en 1950 dans le livre «La naissance de la psychanalyse», un ensemble de textes tirés de la correspondance avec FLIESS qui permet de suivre le cheminement de la pensée à l’œuvre dans la découverte de l’inconscient. Cet article est bien entendu incontournable pour qui s’intéresse aux rapports entre psychanalyse et neurosciences et il est à souligner que cette problématique nous renvoie de manière quasi automatique à des questions se rapportant à l’origine : celle de la naissance de la vie psychique chez le nourrisson, celle de l’avènement de la théorie de l’inconscient…
«L’esquisse» n’est pas considéré en soi comme un texte majeur, mais son élaboration est contemporaine de la rédaction des «Etudes sur l’hystérie», en collaboration avec BREUER, qui lui constitue incontestablement un texte fondateur de la théorie freudienne, avec le décryptage qui y est proposé du symptôme de conversion hystérique. Bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’une publication du vivant de FREUD, il est donc plus difficile de le négliger en le considérant hors du champ de la psychanalyse, comme on aurait pu être tenté de le faire avec le traité sur les aphasies.
Les appréciations portées sur ce texte sont loin d’être univoques et j’invite le lecteur à réserver au moins un temps son propre jugement, le questionnement qui s’y trouve attaché se révélant assez complexe. Les lettres à FLIESS qui font référence à «L’esquisse» témoignent d’une alternance de phases d’exaltation et de phases d’abattement chez FREUD, dans la rédaction de ce travail qui finalement ne sera ni achevé, ni publié de son vivant… Il est possible de considérer que l’abandon de ce projet par FREUD vient marquer la naissance de la psychanalyse en ce que sa théorie s’émancipe par là de la neurophysiologie et qu’elle se constitue en tant qu’un champ spécifiquement psychologique ; dans cette optique, l’impasse à laquelle FREUD se trouve confronté serait structurelle et elle aboutirait à une rupture épistémologique, fondatrice de la psychanalyse, l’opposition entre neurosciences et psychanalyse s’inscrivant alors manifestement dans un mouvement dialectique. Dans une autre optique, l’inachèvement du projet de FREUD serait davantage conjoncturel et lié à l’insuffisance des avancées scientifiques dans le domaine de la neurologie à la fin du XIXe siècle ; auquel cas, il mériterait d’être repris, au regard des progrès majeurs des neurosciences accomplis depuis et c’est la voie suivie par la neuropsychanalyse qui cherche à rapprocher, sinon réunifier, les deux domaines.
«… je suis loin de penser que le psychologique flotte dans les airs et n’a aucun fondements organiques. Néanmoins, tout en étant convaincu de l’existence de ces fondements, mais n’en sachant davantage, ni en théorie, ni en thérapeutique, je me vois contraint de me comporter comme si je n’avais affaire qu’à des facteurs psychologiques. Pourquoi tout cela ne s’accorde-t-il pas pour moi ? Je l’ignore encore», écrit FREUD dans sa lettre à FLIESS du 22/09/1898. Déjà, dans le traité sur les aphasies, il exprimait une opinion semblable : «Les processus physiologiques ne cessent pas lorsque les processus psychiques commencent. Au contraire, la chaîne physiologique continue, mais à partir d’un certain moment, il se produit un phénomène psychique correspondant à chacun des chaînons (ou à plusieurs). Ainsi le processus psychique est parallèle au processus physiologique».
Quelle que soit l’opinion que l’on se forge, méconnaître «L’esquisse» constituerait à notre sens une grossière erreur car, indépendamment de la volonté de FREUD de raccorder la clinique qu’il développe autour des psychonévroses de défense à des données neurophysiologiques, ce texte, comme nous allons tenter de le montrer, aborde des notions tout à fait essentielles à la compréhension de sa théorie de l’inconscient, lesquelles seront reprises de façon plus détaillée ultérieurement, tout au long de l’élaboration de théorie psychanalytique, et ce jusque dans ses aspects les plus métapsychologiques. On y retrouve également le souci qui ne fera que se confirmer par la suite de nouer la psychopathologie à la psychologie du sujet normal, avec le postulat implicite qu’il n’y a pas de différence de nature entre les phénomènes psychiques dans l’un et l’autre cas.
L’entreprise de FREUD d’asseoir sa théorie des névroses sur un soubassement neurophysiologique a pu sembler vaine et être par la suite complètement délaissée, abandonnée au profit d’autres voies, dans un registre exclusivement psychologique. Cependant, et à l’instar de ce que nous avons pu voir à propos du traité sur les aphasies, d’une part, les hypothèses avancées par FREUD sur le fonctionnement du système nerveux se sont révélées tout à fait pertinentes et sont largement corroborées par les données scientifiques actuelles, - il apparaît encore une fois comme véritablement visionnaire de ce point de vue - d’autre part, le modèle de l’appareil psychique qui se dégage de ces hypothèses peut être considéré comme une des premières pierres sur laquelle va pouvoir s’édifier l’ensemble de la théorie psychanalytique.

samedi 11 octobre 2008

Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images

Une citation de Jean COCTEAU et un autoportrait de Johannes GUMPP, peintre autrichien né en 1626, pour poursuivre notre propre réflexion avec une question essentielle qui se pose à tous, philosophes, spécialistes des neurosciences ou psychanalystes même si ce peut être en des termes sensiblement différents, à savoir l’origine du moi selon la terminologie freudienne ou de la conscience ou encore du cogito selon Descartes dont nous avons précédemment détourné la célèbre formule…
Lacan, dans son texte sur le stade du miroir souligne la prématurité de l’enfant à la naissance – «dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans» – et c’est un point tout à fait essentiel sur lequel il sera nécessaire de revenir.
Bien que cela constitue un exercice un peu difficile, on peut essayer de se représenter le vécu du nourrisson soumis à de multiples perceptions qui lui parviennent, du monde extérieur au travers de la vue, de l’audition, du toucher… et de l’intérieur du corps par la sensibilité intéroceptive et les sensations de plaisir et de déplaisir qui peuvent y être associées. Ces différentes perceptions restent à ce stade non intégrées et le vécu qui en résulte est marqué par le morcellement.
L’intégration de ces perceptions en un tout unifié, la différenciation entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur correspondent à des processus très complexes qui vont s’étaler sur les premiers mois ou années de la vie et dans lesquels la dimension imaginaire prend une part importante, permettant au nourrisson d’anticiper sur la conquête d’une unité de son schéma corporel par la vision de l’image de l’autre, la vision de sa propre image dans le miroir, et plus encore et de manière plus subtile la vision de soi qui peut être renvoyée par le regard de l’autre. Autrement dit, la première prise de conscience de l’unité corporelle est liée à une image extérieure à soi, celle de l’autre, du semblable ou encore, toujours en position d’extériorité, celle de soi reflétée dans le miroir.
Des exemples tirés de la psychopathologie permettent de souligner encore la prégnance de cette dimension imaginaire dans la constitution du moi.
L’observation de phénomènes d’échomimie, d’échopraxie, d’écholalie dans les troubles schizophréniques chez l’adulte est à mettre en lien avec le vécu de morcellement corporel et la dissolution de la conscience qui accompagnent ces pathologies ; ils peuvent être interprétés comme une ultime et pathétique tentative de préserver l’unité de soi et le lien avec le monde extérieur.
Chez l’enfant autiste, l’apparition du langage est couramment marquée par le phénomène d’écholalie et il est tout à fait illusoire d’espérer que l’usage de la parole pourrait d’emblée lui permettre une communication adaptée avec l’autre. Avant même l’accès au langage, il peut être également très intéressant de repérer chez lui des capacités d’imitation dans d’autres domaines ainsi que d’éventuelles réactions lorsque l’observateur qui est en face de lui se laisse aller à imiter son comportement…
Plusieurs remarques à ce sujet, en revenant une fois encore à la réalité quotidienne de nos prises en charge.
La première est que les soignants parfois se désolent de constater chez les enfants ces comportements d’imitation qui sont le plus souvent peu valorisés. Ils donnent lieu à un sentiment d’inauthenticité, on parle à leur propos d’un «faux self», d’un comportement plaqué, d’un enfant qui n’a pas de désir propre, mais qui se coule dans celui de ses parents ou de son entourage… Une vision trop péjorative de ces comportements me semble inadéquate ; il ne s’agit pas de s’en satisfaire, mais il faut sûrement les considérer comme une étape obligée, avant l’accession à une personnalité plus individualisée et autonome.
Une remarque semblable peut être faite à propos des enfants qui s’attribuent ce qu’ils ont perçu chez un autre enfant ou, inversement, qui attribuent à l’autre ce qui leur appartient en propre, dans une forme de transitivisme qu’il faut se garder d’interpréter trop rapidement comme une altération sévère du lien à la réalité et que l’on pourrait simplement considérer comme une sorte d’illusion d’optique.
La dernière remarque porte sur les effets négatifs qui peuvent découler des phénomènes d’imitation. Si jusqu’ici, il a été surtout mis en valeur leur implication essentielle dans le développement de l’enfant et l’établissement des liens sociaux, il ne faut pas occulter les difficultés qui peuvent en résulter. Prenons l’exemple d’un hôpital de jour et d’un enfant présentant des stéréotypies gestuelles… il arrive que des stéréotypies analogues puissent être constatées chez un autre enfant qui aura été au contact du premier et il n’est pas rare alors que les parents du second nous en fassent la remarque, plus ou moins teintée de reproches : «Je ne sais pas où il a pris ça…». Le même phénomène de résonance peut s’observer lorsqu’un des enfants présente un état d’agitation et de violence ; il faut reconnaître que cela peut aboutir parfois à des phénomènes de groupe difficilement gérables.
Il y a sûrement là un argument de poids en faveur d’une intégration en milieu ordinaire des enfants présentant des troubles sévères de la personnalité, lequel environnement est à même d’offrir des modèles plus adaptés qu’une institution spécialisée qui, par définition, regroupe des enfants en difficulté, sachant toutefois que cette intégration a ses limites et que le milieu ordinaire, même avec des aménagements, ne peut répondre à certaines situations. Il faut savoir se montrer pragmatique et pouvoir doser au mieux, en fonction de l’évolution de chaque enfant, prise en charge individuelle et prise en charge de groupe, fréquentation du milieu ordinaire et accueil au sein d’un milieu spécialisé… Nous n’approfondirons pas ce débat qui nous éloigne quelque peu de la question qui nous occupe, soit les rapports entre psychanalyse et neurosciences, mais il est intéressant de noter que des points d’ordre théorique et des données tirées d’expérimentations scientifiques peuvent aussi conduire à s’interroger de façon très concrète sur nos pratiques et sur des questions sociales éminemment actuelles, après la promulgation de la loi de février 2005 en faveur des handicapés.

dimanche 5 octobre 2008

J’imite, donc je suis

Encore quelques mots à propos des neurones miroirs, des phénomènes d’imitation et de leur rôle dans le développement cognitif et affectif de l’enfant. Ce rôle concerne les apprentissages, mais aussi l’empathie et l’établissement de la communication et des interactions sociales… Une défaillance à ce niveau s’observe chez les enfants présentant des troubles autistiques de sorte qu'un rapprochement peut être fait avec ce qui a été décrit sous le terme de défaut de «théorie de l’esprit» par les psychologues cognitivistes. Mais d’autres rapprochements peuvent aussi s’envisager avec certains concepts de la théorie psychanalytique.
L’intrication entre le phénomène des neurones miroirs et l’apprentissage peut être établie par certaines expériences : ainsi l’activation des neurones miroirs pour un geste comportant une certaine technicité comme jouer d’un instrument de musique ou exécuter un pas de danse sera d’autant plus importante que l’observateur possède une expérience dans le domaine considéré. Il apparaît également hautement probable que l’activité des neurones miroirs, couplée aux circuits neuroniques intervenant dans la mémoire participe à l’intégration de certains apprentissages : l’expérience la plus commune semble en effet attester qu’une tâche sera d’autant plus facilement assimilée qu’une démonstration aura pu en être faite.
D’autres expérimentations autour des neurones miroirs montrent que leur activation ne correspond pas à un simple reflet d’un geste effectué, mais qu’elle correspond véritablement à une représentation qui se construit de l’intentionnalité attachée à ce geste. Ainsi cette activation pourra s’observer alors même qu’une partie de l'action se trouve masquée par un écran. Si un stimulus auditif est associé à un geste donné, sur le modèle du réflexe pavlovien, ce seul stimulus suffira à activer les neurones miroirs. Pour des gestes analogues, mais pouvant correspondre à des actions différentes, la prise en compte du contexte dans lequel survient ce geste peut moduler la réponse des neurones miroirs, comme si une interprétation du sens du geste perçu pouvait être donnée, en fonction de ce contexte.
Il découle de ces différentes expériences brièvement évoquées que les neurones miroirs interviennent dans l’empathie, soit la capacité de ressentir ce que l’autre ressent, et qu’ils participent ainsi à l’établissement de la communication et des interactions sociales entre individus. Des expériences analogues réalisées chez l’enfant autiste dont on connaît les difficultés au plan du langage et de la communication au sens large montrent le défaut d’activation des neurones miroirs dans des situations où ils s’activeraient chez un enfant normal.
Née de travaux d’éthologie sur les chimpanzés, la théorie de l’esprit fut ensuite appliquée à la cognition humaine, notamment avec les travaux de Simon Baron-Cohen, Alan M Leslie et Uta Frith. Pour le résumer simplement, sous ce terme se trouve désignée la capacité pour un sujet de se mettre à la place de l’autre, d’adopter son point de vue en se dégageant du sien propre ; défaillante chez l’autiste, celui-ci se trouve dans l’incapacité de prévoir et de comprendre les réactions d’autrui. Il est très tentant de rapprocher ce défaut de «théorie de l’esprit» de l’absence d’activation des neurones miroirs chez l’autiste.
Quoique sûrement plus hasardeux, des rapprochements peuvent également être tentés avec certains aspects de la théorie psychanalytique et en particulier la place que peut prendre l’identification en tant que processus constitutif de la psyché, forme la plus originaire du lien affectif à l’objet*. Il s’agit en l’occurrence d’une identification sur un mode imaginaire, telle que peut la définir Lacan, sous la dépendance de l’image de l’autre… Sur ce chapitre, la référence au stade du miroir s’impose et, à titre de clin d’œil, la photo ci-dessus montre indubitablement qu’il n’est pas l’apanage du jeune enfant… l’échange de regard au travers du miroir est frappante, tout autant que l’ «assomption jubilatoire», pour reprendre l’expression consacrée…**
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* «Premièrement, l’identification est la forme la plus originaire du lien à l’objet ; deuxièmement, par voie régressive, elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi ; et troisièmement elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles».
Psychologie des masses et analyse du moi - Sigmund FREUD
** «Il y suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification au sens plein que l'analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, - dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l'usage, dans la théorie, du terme antique d'imago.
L'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet».
Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je - Ecrits - Jacques LACAN