jeudi 26 septembre 2013

« Un indien dans l’asile »


« Un indien dans l’asile », tel aurait pu être le titre de ce film. Le succès commercial en eut été garanti… La qualité du film en lui-même, le jeu des acteurs suffiraient à le recommander vivement, mais il est évident que le thème abordé ne saurait laisser indifférent tout soignant intervenant dans le domaine de la psy.
Il n’est jamais inutile de revenir sur l’histoire de notre discipline et des grands noms qui ont pu la marquer, en l’occurrence, Georges DEVEREUX. Avec cette "psychothérapie d’un indien des plaines", nous nous replongeons sur une période marquée par l’essor de la psychanalyse, au décours de la seconde guerre mondiale, une extension qui la conduit à se confronter à des disciplines connexes telles que l’anthropologie ; l’avènement de l’ethnopsychanalyse et de l’ethnopsychiatrie découlera de cette rencontre. Alors que la psychanalyse se voit tant décriée de nos jours, cela peut apporter un certain réconfort et relativiser la portée de critiques qui lui sont adressées (non que certaines puissent apparaître justifiées toutefois).
Le sentiment d’étrangeté lié tout autant à l’origine du patient qu’au style particulier du thérapeute se conjugue cependant à un sentiment de rassurante familiarité. Certes le cadre des séances est pour le moins chamboulé – point de divan et des interventions de l’analyste s’écartant nettement de la conduite habituelle de la cure – mais nous retrouvons tous les ingrédients qui ont participé à l’édification de la théorie psychanalytique et pour ne citer que quelques exemples, la place de l’interprétation des rêves, la règle des associations libres, les références à la théorie de la séduction ou à la scène primitive, la notion de trauma, le rôle du transfert… et du contre-transfert, car c’est bien la rencontre singulière entre deux sujets qui constitue le moteur de la cure, une rencontre d’autant plus surprenante que ces sujets ne partagent pas la même culture. Écoute attentive et bienveillante, acceptation de l’autre et de sa différence radicale…
S’y retrouve également en bonne place le complexe d’Œdipe dont on connaît le rôle essentiel dans la théorie freudienne. Si la fin de la cure est marquée par la réduction significative des symptômes dont souffre Jimmy P. et l’accession à une meilleure connaissance de lui-même, nul doute que c’est sa capacité à enfin assumer son rôle de père auprès de sa fille qui constitue le point d’aboutissement de son parcours avec son thérapeute, comme nous le suggèrent les dernières images du film.
En contrepoint de mes remarques précédentes, peut être abordé un questionnement omniprésent dans le film et qui reste d’une brûlante actualité. Le service accueillant Jimmy P. est avant tout spécialisé dans les maladies du cerveau et le premier souci des médecins qui se penchent à son chevet est de rechercher une origine organique aux troubles présentés, compte tenu de ses antécédents de traumatisme crânien.
Ce n’est que devant la négativité des examens réalisés que l’hypothèse d’un trouble psychique est retenue, la nature des symptômes pouvant faire penser à une schizophrénie, diagnostic récusé par Georges DEVEREUX.
Ce dernier a incontestablement une position très singulière par rapport à l’équipe médicale de l’hôpital et il est d’autant plus remarquable que c’est lui qui insiste pour que soit pratiqué un dernier examen afin de s’assurer de l’absence de lésion cérébrale chez le patient, et ce alors que sa psychothérapie est sur le point de se terminer et qu’elle semble avoir permis une résolution des symptômes les plus invalidants.
Certaines questions sur le diagnostic ne peuvent être écartées si l’on veut bien considérer que les moyens d’investigation médicale de l’époque étaient bien moins développés qu’actuellement et que les connaissances scientifiques ont largement progressé depuis.
Il n’est pas certain que les examens para cliniques actuels n’aient pas permis de déceler des lésions invisibles ou des troubles paroxystiques insoupçonnables avec les moyens d’alors : une IRM fonctionnelle ou des méthodes plus sophistiquées d’enregistrement EEG auraient peut-être pu se révéler positives.
En l’absence de lésion anatomique objectivable, l’existence d’un trouble fonctionnel ne peut davantage être exclue … Les maux de tête accompagnés de troubles visuels (baisse de l’acuité visuelle, phosphènes) et autres désordres neurologiques survenant sur un mode paroxystique peuvent se rencontrer dans certaines formes de migraine ou d’épilepsie partielle dont l’identification peut se révéler mal aisée. Il est encore possible que des traitements médicamenteux dont nous disposons à l’heure actuelle aient pu apporter un certain soulagement au patient.
Il pourrait certainement être instructif de recueillir l’avis d’un neurologue d’aujourd’hui à propos du cas de Jimmy P.
Que conclure sinon que les relations entre psyché et soma sont complexes et que nous ne pouvons nous contenter d’une opposition radicale entre causalité psychique et origine organique ; l’une n’exclut pas l’autre et la persistance d’un doute sur le diagnostic ne vient pas invalider l’approche psychothérapique : d’une part, celle-ci se révèle efficace et d’autre part son efficacité ne peut se réduire à la disparition des symptômes… Dans l’analyse, « la guérison survient de surcroît » a-t-on coutume de rappeler.