lundi 22 septembre 2008

Les bonnes manières

L’existence des neurones miroirs a été démontrée chez l’enfant, ce qui laisse entrevoir le rôle très important que peut jouer l’imitation dans son développement psychoaffectif et cognitif. Au fil des ans, des compétences toujours plus grandes sont reconnues chez le bébé. Ainsi, la capacité d’imiter se manifeste chez le nouveau-né, dès les tous premiers jours de sa vie. Une expérience très aisément reproductible permet de s’en convaincre. Pour cela, il faut disposer d’un nouveau-né ; personnellement, un enregistrement vidéo de cette expérience m’avait été présenté lors d’une formation sur l’autisme, dans le service du Pr. AUSSILLOUX, à Montpellier, il y a un peu plus de 10 ans de cela, à une période où j’étais sur le point d’être père pour la troisième fois. J’ai donc pu facilement essayer et cela marche…
Il est toutefois nécessaire de respecter un minimum de conditions. La première de ces conditions est de bien choisir son moment : le bébé doit être dans un état de vigilance et de réceptivité adéquat, ce qui ne correspond qu’à des temps très limités dans la journée : il ne doit ni dormir, ni pleurer parce qu’il est tenaillé par la faim… Il faut donc profiter d’un moment où il est calme, les yeux ouverts… La deuxième des conditions et de positionner son visage à bonne distance du sien, à environ 30 ou 40 cm, le bébé n’étant pas en mesure d’accommoder, ses perceptions visuelles resteraient floues si on se place ou trop près, ou trop loin. Moyennant ces précautions prises, il faut soit ouvrir grand sa bouche, soit tirer sa langue… et on observe alors un brin émerveillé que le bébé imite le mouvement qui vient d’être fait. Etonnant, non ? Comme quoi il n’est jamais trop tôt pour apprendre les bonnes manières !
Au cours de cette formation, une autre expérience portant sur les interactions mère-enfant nous avait été présentée, un peu plus complexe et avec un bébé un peu plus grand, âgé de quelques mois. Le dispositif expérimental est le suivant. Le bébé est installé dans un siège et il est séparé de sa mère. Un système vidéo a été mis en place : la mère et le bébé sont tous deux en face d’un écran et d’une caméra de telle façon que la mère peut voir l’image de son enfant et inversement… c’est en quelque sorte une visioconférence mère-enfant qui est organisée.
Premier temps de l’expérience, au moment de la séparation, l’enfant réagit en pleurant… lorsqu’il peut voir sa mère à travers l’écran, il peut rétablir un lien avec elle et il parvient ainsi à s’apaiser peu à peu.
Dans un second temps, l’expérience est renouvelée, mais en introduisant un biais. L’image qui est projetée à l’enfant est toujours celle de sa mère, mais il s’agit d’une image non plus en direct comme précédemment, mais en différé… dans ces conditions, l’enfant ne parvient pas à retrouver son calme et au contraire il est en proie à une tension émotionnelle qui va croissante.
La preuve est ainsi faite que ce n’est pas la simple contemplation passive du visage de la mère qui a une valeur apaisante pour l’enfant, mais que ce sont les interactions complexes qui peuvent se nouer avec elle qui permettent cet apaisement. Un empêchement artificiellement créé au niveau de ces interactions s’accompagne d’une perturbation émotionnelle manifeste chez l’enfant.
Une troisième et dernière expérience avec des enfants encore un peu plus âgés, capables de se mouvoir de façon autonome nous fait aborder le champ de l’autisme. Elle est connue sous le nom anglais de «still face» : elle consiste à laisser évoluer un jeune enfant dans une pièce où un adulte est présent, mais qui a ceci de particulier qu’il reste parfaitement immobile, le visage impassible… L’expérience tentée avec un jeune enfant montre que celui-ci va solliciter l’adulte par tous les moyens possibles et qu’il va être très angoissé de ne pouvoir obtenir la moindre réaction de sa part… La même expérience faite avec un enfant autiste montre que celui-ci n’est absolument pas gêné par cette présence insolite et qu’il va continuer à évoluer comme il en a l’habitude. Pour l’enfant autiste, il ne semble pas exister de différence entre les êtres humains et les objets ; il ne leur accorde pas davantage d’intérêt, il n’existe pas de différence dans les modalités d’interaction qu'il peut établir avec les premiers et les seconds.
L’imitation nous a conduit à aborder au travers de quelques exemples la question passionnante des interactions précoces. Cette question intéresse actuellement de nombreuses disciplines qui peuvent chacune apporter un éclairage particulier avec les modes d’approche spécifiques qui sont les siens. Ces études, qu’elles émanent du domaine de la neuropsychologie, de l’éthologie humaine ou de la psychanalyse aident à mieux comprendre le développement de l’enfant, normal ou pathologique comme dans l’autisme et les troubles apparentés. Il me semble que l’on peut reconnaître à FREUD et à ses élèves le mérite d’avoir su porter un regard attentif sur l’enfant, sur les étapes initiales de son développement et sur ses premières relations à l’autre, dont l’importance dans la constitution de sa personnalité future d’adulte, si elle est une évidence de nos jours, ne l’était sûrement pas à l’époque de la découverte de la psychanalyse.

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