mercredi 10 septembre 2008

Miroir, mon beau miroir...

Le domaine des neurosciences est très vaste et le choix d’un thème particulier pour l’aborder n’avait rien d’évident. La lecture de Freud dans son traité sur les aphasies nous ayant d’emblée orienté vers la question des «Neurones miroirs» laissons-nous entraîner dans cette voie, d’autant qu’il s’agit d’une découverte relativement récente et a priori extrêmement féconde si nous considérons les implications qu’elle peut avoir dans la compréhension du développement de l’enfant, des processus mis en jeu dans la communication et les interactions sociales, ainsi que des troubles qui peuvent s’observer à ce niveau.
La parution du livre de référence en la matière, «Les neurones miroirs», date de janvier 2008 ; il est co-signé par Giacomo RIZZOLATTI et Corrado SINIGAGLIA, le premier professeur de physiologie humaine et directeur du département de neurosciences de l’Université de Parme, le second professeur de philosophie des sciences à l’Université de Milan ; y sont présentées les récentes découvertes qui ont été faites à partir du milieu des années 1990, dans un premier temps chez des macaques, puis chez l’homme.
Dans les expériences initiales, il a été montré que certains neurones du cortex prémoteur des singes émettent des potentiels d’action non seulement lorsqu’ils exécutent un mouvement, mais également quand ils observent un de leurs congénères ou l’expérimentateur faire ce même geste. L’action de l’autre semble reflétée dans le cerveau de l’observateur, d’où la dénomination de «neurones miroirs».
Proche de ce phénomène, il est décrit des «neurones canoniques» qui s’activent à la simple vue d’un objet susceptible d’être saisi par la main, comme si le cerveau anticipait une interaction possible avec l’objet, que le geste de préhension soit ou non exécuté par la suite.
Des neurones miroirs en tout point comparables ont pu être mis en évidence chez l’homme grâce aux techniques de tomographie par émission de positrons (TEP) et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Curieusement, l’aire prémotrice chez l’homme où s’observent ces neurones miroirs correspond à l’aire de Broca, qui est aussi l’aire du langage ; il en existe également une au niveau du cortex pariétal. L’activité de certains de ces neurones peut s’intégrer dans des processus plus complexes que ceux décrits chez les macaques et être liée à la perception d’une émotion sur le visage d’autrui, une expression de dégoût ou de douleur par exemple, comme cela pourrait s’observer si le sujet ressentait lui-même ces émotions.
Ces phénomènes viennent remettre en cause les schémas classiques du fonctionnement cérébral qui dissocient la perception et la motricité, avec intercalée une étape intermédiaire, cognitive, qui permettrait après analyse des données perceptives d’ajuster au mieux l’action de l’individu. Le phénomène des neurones miroirs montre qu’au contraire, la fonction motrice est intimement liée à la perception et qu’elle participe d’emblée à une appréhension de l’environnement du sujet. Plus encore, au travers du mouvement ainsi perçu chez un autre et ressenti de l’intérieur, ce sont ses actions et ses intentions qui peuvent être anticipées. La réciproque étant vraie, le phénomène des neurones miroirs semble jouer un rôle fondamental au niveau de l’ajustement indispensable dans la communication entre deux individus, chacun ayant en lui une représentation instantanément actualisée de l’état mental de l’autre, représentation qui lui permet d’anticiper ses actions, de deviner ses intentions, son état émotionnel et de réagir en conséquence…
Des caractéristiques neuroanatomiques telles que la correspondance entre l’aire prémotrice où s’observent les neurones miroirs et l’aire du langage laissent supposer que ces derniers ont pu jouer un rôle important au cours de l’évolution, la communication par le langage des êtres humains ayant pu se constituer sur le socle d’une communication par gestes… ce qui explique peut-être que nos paroles s’accompagnent encore, et le plus souvent à notre insu, d’une gestuelle qui en dit sûrement plus long que ce que nous imaginons.
Signalons enfin que l’existence de neurones miroirs qui s’activent à l’audition de la parole a été expérimentalement démontrée, confirmant l’intuition freudienne telle qu’elle avait été exposée dans le traité sur les aphasies, plus d’un siècle en arrière…

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