samedi 23 octobre 2010

Retour sur les neurosciences

C’est avec un grand plaisir et un intérêt certain que j’ai pu revoir et réécouter François ANSERMET et Pierre MAGISTRETTI lors de la journée du 22/10/2010 au Centre social de l’hôpital du Vinatier, journée organisée par l’Institut des Sciences Cognitives sur le thème "La trace précoce : comment la psyché vient au bébé ?".
Rappelons quel en était l’argument :
"Inscription des expériences précoces, traces phylogénétiques, épigenèse interactionnelle, plasticité cérébrale, transmission transgénérationnelle, mémoire(s) procédurale ou déclarative, amnésie infantile, capacité d’oubli : la question des traces traverse tout le développement, la psychopathologie et le domaine du soin psychique. Les connaissances récemment acquises sur les effets de l’environnement, sur la croissance et l’organisation cérébrale, sur les effets de l’exposition du bébé au stress relationnel, ne peuvent échapper aux cliniciens et aux chercheurs. Ces avancées permettent de construire une relecture du développement très précoce, mais aussi de mettre en lien des concepts de la métapsychologie freudienne avec des données scientifiques, notamment dans le champ de la psychanalyse du bébé, de construire des modèles opérants pour les psychothérapies, et d’étayer des démarches de prévention. Il reste à penser la manière dont peuvent s’articuler des champs à priori aussi éloignés : visée complémentariste à la Devereux, (afin d’éviter les sauts qualitatifs trop importants) ou réductionnisme stérilisant ? Le cerveau du bébé est un continent encore à explorer avec en ligne de mire ce qui caractérise l’humain : la psyché".
Je n’ai pas encore lu le nouveau livre des deux conférenciers paru le 30/09/2010, "Les énigmes du plaisir", qui a servi de base à leur exposé, mais je viens à l’instant de passer commande sur Internet. J’avais lu leur premier ouvrage auquel j’ai déjà eu l’occasion de me référer "A chacun son cerveau" et j’avais pu les entendre une première fois lors des journées de Lille du 5 et 6 juin 2009 "Psychopathologie de l’enfant et neurosciences"*, journées au cours desquelles j’avais eu moi-même l’honneur de présenter une communication "Freud au pays des neurosciences"… Ces quelques petits rappels pour ceux qui auraient manqué les premiers épisodes – Blog Saison I :  "Psychanalyse et neurosciences".
Avec les nouvelles réflexions des deux auteurs, j’ai constaté avec plaisir qu’une jonction pouvait s’opérer avec la thématique abordée dans la Saison II sur la question de la temporalité. J’avais à peine esquissé cette piste dans un billet intitulé "Pas le temps" : "Du manque de temps au temps du manque... Je vous laisse méditer sur ce thème…" y avais-je écrit. J’avais alors en tête de reprendre sous l’angle de la temporalité l’expérience de satisfaction développée par FREUD dans "L’esquisse", ce que je n’avais pas fait, faute de temps. Or, c’est un des thèmes qui a pu être développé lors de la journée du 22/10/2010 à Lyon : selon François ANSERMET, un lien entre psychanalyse et neurosciences peut s’établir autour de la question de la temporalité.
Du point de vue des neurosciences Pierre MAGISTRETTI a pu rappeler dans le cadre général de la plasticité cérébrale comment se constituaient les assemblées de neurones avec une loi physiologique qui fait que deux neurones activés en même temps auront tendance à se réunir dans un même réseau neuronal. Il a été individualisé au niveau du cerveau  des systèmes détecteurs de coïncidence. Le parallélisme avec ce que FREUD écrivait dans "L’esquisse" est saisissant : "Or, il existe une loi fondamentale d’association par simultanéité et cette loi joue au cours de l’activité Ψ pure (durant la reproduction par le souvenir) et donne le fondement de toutes les connexions entre neurones Ψ", une citation pour souligner une nouvelle fois le caractère visionnaire de son œuvre  – le texte a été écrit en 1895 –  et  en réaction à certains de ses détracteurs (cf. un article du 17/10/2010  du philosophe Michel ONFRAY dans le Monde intitulé "La parapsychologie freudienne" qui me paraît très discutable, pour user d’une litote).
D’un point de vue plus psychologique, François ANSERMET a pu souligner le caractère discontinu du vécu du nourrisson, l’inscription de l’expérience dans une chronologie n’étant possible que chez l’enfant plus âgé, après une maturation suffisante de son système nerveux. Cependant, ce qui est décrit dans l’expérience de satisfaction avec une séquence qui débute avec l’état de détresse du nourrisson en proie à la sensation de faim et qui se résout par l’intervention secourable de la mère qui vient satisfaire son besoin va pouvoir instaurer un rythme premier autour d'une alternance déplaisir/plaisir : il importe que la réponse de la mère soit adaptée au besoin de l’enfant, mais aussi qu’elle survienne au bon moment, ni trop tôt, ni trop tard et avec une certaine régularité au fur et à mesure que l’expérience se répète… D’autres intervenants durant cette journée ont pu insister sur l’importance de la synchronisation dans les interactions précoces entre le bébé et sa maman.
La plasticité cérébrale peut s’envisager comme un phénomène spatial avec des modifications structurelles du cerveau, mais plus encore comme un phénomène temporel. Elle renvoie à un changement permanent, à une discontinuité fondamentale qui peut faire dire qu’on ne pense jamais deux fois avec le même cerveau. Cette discontinuité survient cependant sur un fond de continuité, laquelle constitue l’identité du sujet.
Une distinction très pertinente a pu être pointée entre développement et devenir : la notion de développement renvoie au déroulement d’un programme préétabli, déterminé par le code génétique par exemple : la plasticité cérébrale permet un affranchissement par rapport à ce qui serait un pur déterminisme développemental et ouvre la voie au devenir, où le sujet retrouve un certain degré de liberté, où il y a place pour la créativité,  la contingence, l’imprévisibilité…
La richesse du contenu de cette journée ne permet pas d’être exhaustif. Peut-être la lecture de l’ouvrage "Les énigmes du plaisir" me donnera l’occasion de revenir sur certains aspects que je n’ai pu reprendre dans le cadre de ce bref aperçu.
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* Le numéro de septembre 2010 de la revue Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence est consacré à ces journées, pour ceux que le sujet intéresse.