mercredi 22 juin 2011

Violence et famille

Les 20 et 21 juin, un colloque était organisé à Paris par "Psy & Crimino" sur le thème "Violence et famille – Comprendre pour prévenir", un thème qui se situait parfaitement dans le prolongement de celui choisi pour la journée théorico-clinique du Pôle I06 "Violence, agressivité, angoisse" du 9 juin dernier au Centre hospitalier de Saint-Cyr au Mont d'Or.
Différentes situations ont pu être étudiées des plus banales comme les maltraitances à enfant, les violences conjugales au plus graves comme l’inceste, les homicides, les infanticides… L’abord de ces différentes situations se voulait résolument pluridisciplinaire.
Pour tous ceux qui sont intéressés par le sujet, mais qui n’ont pas eu la possibilité de participer à ces deux journées, une bonne nouvelle, la parution d’un livre aux éditions Dunod sous la direction de Roland COUTANCEAU dont le titre reprend l’intitulé du colloque et qui rassemble l’essentiel des communications présentées.
La violence est un thème très prégnant à notre époque, dont l’actualité est régulièrement entretenue par des faits divers dont s’emparent médias et hommes politiques : pour les derniers en date, on peut citer une jeune lycéenne de 17 ans tuée dans l’Ardèche alors qu’elle faisait du jogging et une collégienne de 13 ans mortellement blessée dans l’Hérault par le frère d’une de ses camarades avec qui elle avait eu un différend lié à une rivalité amoureuse la semaine précédente. Si l’émotion suscitée par de tels faits divers est légitime, l’exploitation qui peut en être faite est elle davantage contestable.
L’émotion doit laisser la place à la réflexion, laquelle peut permettre de se déprendre de certains a priori. Parmi ceux-ci, le fait que le sentiment d’insécurité est le plus souvent rapporté à la peur de ce qui peut apparaître comme le plus éloigné du sujet : l’étranger, l’immigré, le malade mental, le pervers ou le délinquant multirécidiviste… avec toutes les mesures sécuritaires que l’ont peu imaginer pour s'en prémunir, quitte à ce que certains droits fondamentaux s’en trouvent remis en cause.
Or les statistiques criminologiques sont unanimes : quel que soit le type de violences, des plus communes au plus graves – maltraitance, violences simples, homicides, abus sexuels… – l’auteur est bien plus souvent une personne connue de sa victime, un proche ou un membre de sa famille, qu’une personne qui lui est totalement étrangère, croisée par hasard, au détour d’un chemin.
L’espace clos de la famille que l’on pourrait supposer constituer pour tout sujet un milieu protecteur, un refuge, peut en fait se révéler dans certains cas comme le lieu de tous les dangers.

dimanche 12 juin 2011

2ème journée de réflexion théorico-clinique du pôle I06

Le jeudi 9 juin 2011 se tenait au Centre hospitalier de Saint-Cyr au Mont d’Or la 2ème journée de réflexion théorico-clinique du pôle I06 autour du thème "Angoisse, Agressivité, Violence" avec la participation du Professeur Bernard GOLSE.
Rappelons quel en était l’argument :
"Nous sommes tous amenés, quelle que soit notre place, à rencontrer un moment de violence, soit celle que l'on attribue à l'autre, soit celle que l'on éprouve soi-même. Cette dénomination qui porte au regard de notre société une connotation négative en nous proposant d'en faire l'objet d'une déclaration recouvre cependant des réalités cliniques bien différentes. L'agressivité est une activité mentale assez élaborée et secondarisée alors que la violence demeure une réaction agie déclenchée par une angoisse peu représentée. C'est ainsi que l'agressivité inclut une problématique triangulaire œdipienne alors que la violence demeure de l'ordre préœdipien ou instinctuel. Angoisse, agressivité, violence, comment sommes nous confrontés à des difficultés lors de nos prises en charge, qu'elles soient individuelles ou groupales, institutionnelles ou non ? Comment assume-t-on la violence inhérente à toute rencontre ? Quels sont les mécanismes de défense mobilisés tant chez nos patients qu'à notre niveau ? Quels en sont les Destins ? La journée Théorico-clinique de cette année tentera d'y apporter des éléments de réflexion".
Il faut tout particulièrement remercier pour sa participation le Professeur Bernard GOLSE qui a su se montrer attentif aux situations exposées et nous apporter son éclairage avec à la fois une grande pertinence et beaucoup de simplicité.
Résumons brièvement son parcours :
"Pédiatre de formation, Pédopsychiatre et Psychanalyste (à l’Association Psychanalytique de France), Bernard Golse est chef de service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-Enfants Malades à Paris et Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René Descartes (Paris V). Après des études de linguistique, une thèse de sciences et un doctorat de biologie humaine consacrés à l’approche des processus psychotiques précoces, il devient médecin-chef de l’Hôpital de jour pour très jeunes enfants autistes et psychotiques que le Professeur Michel Soulé avait créé à l’Institut de Puériculture de Paris, fonction qu’il exercera de 1983 à 1993. Spécialiste du développement précoce et des niveaux archaïques du fonctionnement psychique, il s’intéresse tout particulièrement à la mise en place de la psyché chez l’enfant et à l’instauration des processus de sémiotisation et de symbolisation. Les relations entre la musique et les racines du langage lui importent au plus haut point. Il est actuellement membre du Conseil Supérieur de l’Adoption, membre de l’exécutif de l’IACAPAP (Association Internationale de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des Professions Affiliées) et membre fondateur de l’AEPEA (Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent). Il anime actuellement tout un courant de recherches dans le champ de la Psychiatrie Périnatale, courant qui vise à prendre en compte l’ensemble des acquis des neurosciences et de la psychologie développementale sans renoncer pour autant aux fondements de la réflexion métapsychologique".

Trois interventions étaient au programme :
  • « Sébastien ou l’enfant du clivage » présentée par une infirmière et une assistante sociale du Centre Pierre Mâle (hôpital de jour de Gleizé)
  • « Comment échapper à la fée Carabosse ou les surprises de l’anti destin »  présentée par une psychologue de l’hôpital de jour « Les Primevères » de Saint-Cyr avec la participation d’une psychologue du Centre Médico-Psychologique du Bois d’Oingt
  • « Tranche de vie d’un CATTP : des attaques tout azimut à une alliance contre » présentée par une infirmière, une psychomotricienne, une orthophoniste et une psychologue du Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel de Anse.
Je pense refléter l’opinion de la grande majorité des participants en soulignant l’intérêt et la richesse de cette journée. Présenter une situation clinique dans laquelle une équipe a pu se trouver à un moment donné confrontée à des difficultés, s’exposer ainsi au regard de ses collègues et d’un invité prestigieux pourrait sembler un exercice difficile : cela a pu se faire avec simplicité, l’humour qui ponctuait certaines interventions n’enlevant rien à leur intérêt clinique. Les présentations à plusieurs voix donnaient à mon sens une bonne représentation d’un certain esprit d’équipe.
Mon seul regret est que cette journée se soit terminée un peu trop prématurément – du fait des contraintes horaires de notre invité – et que la place laissée aux échanges à l'issue des trois présentations en ait été trop réduite, d’où une certaine frustration.
Pour prolonger  cette journée, je vous propose une des nombreuses réflexions qu’elle a pu susciter chez moi, tout en incitant mes collègues à suivre mon exemple en nous faisant part des leurs.
Je repartirai pour cela d’une des interrogations de Bernard GOLSE à propos du cas présenté par le CATTP de Anse : à au moins deux reprises, il a questionné les intervenants pour savoir si le récit donné de cette prise en charge de groupe correspondait véritablement à son déroulement ou s’il avait pu être remanié, pour les besoins de la présentation qui en était faite.
La réponse étant qu’il correspondait bien au déroulement de la prise en charge, Bernard GOLSE soulignait à quel point cela illustrait la théorie psychanalytique : pour le dire brièvement, il y avait une phase initiale où la problématique se situait autour des enveloppes corporelles, puis elle se déplaçait dans le registre de l’oralité et de l’analité pour aboutir finalement à un registre génital où se posait la question de la différenciation sexuelle (précisons que ce groupe était composé d’enfants âgés d’environ 6 ans).
Sans remettre en cause l’intérêt théorico-clinique de cette présentation, il me semble que l’interrogation de Bernard GOLSE porte sur une question épistémologique délicate qui a pu alimenter certaines critiques adressées à la théorie psychanalytique et qu’il importe selon moi de ne pas trop vite escamoter. En quoi ou dans quelle mesure une expérience clinique est-elle susceptible de valider une théorie ?
Il existe à l’évidence un écart entre toute expérience vécue et le récit qui peut en être fait secondairement. Cet écart peut être plus ou moins grand, en fonction du degré de correspondance entre le niveau de l’expérience et celui du récit…
Premier question qui se pose : le récit a-t-il pu être arrangé, bidouillé pour le dire un peu familièrement, afin qu’il soit plus présentable ?  Rappelons que c’est un des reproches qui a pu être fait concernant les cas cliniques princeps de Freud.
En dehors de toute volonté consciente de s’arranger avec la réalité vécue, une autre question se pose : une expérience ne peut être appréhendée qu’au travers du prisme de nos représentations… En quoi cela peut-il constituer un biais ? Nous serions en quelque sorte formatés et nous ne retiendrions de l’expérience que ce qui correspond à nos présupposés théoriques tout en ignorant ce qui ne rentrerait pas dans notre système de représentations…
Dernière critique qui pourrait être faite : le cadre même des prises en charge que nous proposons ne peut être complètement neutre et il est déterminé par les fondements théoriques qui sont les nôtres, de sorte qu’on ne peut écarter le fait que le cadre fixé au départ influe sur le déroulement de l’expérience et l’oriente dans le sens de nos présupposés théoriques.
La journée organisée pour la deuxième fois au niveau du Pôle I06 se voulant théorico-clinique il me semblait intéressant de profiter de l’occasion pour vous soumettre quelques questions qui peuvent se poser sur le lien qui unit la théorie et la clinique.