mardi 30 décembre 2008

Oh ! My GOD !

G.O.D. : Generator Of Diversity… c’est par ce trait d’esprit que les scientifiques caractérisent les processus tels que le darwinisme neuronal qui conduisent à une émergence de diversité, de singularité… C’est ainsi que François ANSERMET et Pierre MAGISTRETTI peuvent écrire A chacun son cerveau. Le premier est psychanalyste, professeur de pédopsychiatrie à la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, médecin chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent tandis que le second est professeur de neurosciences à l’école polytechnique fédérale et à l’Université de Lausanne et également directeur du centre de neurosciences psychiatriques de Centre hospitalier universitaire vaudois
Ils proposent dans ce livre une articulation originale entre psychanalyse et neurosciences autour du mécanisme de plasticité cérébrale.
Il est établi que le cerveau n’est pas exclusivement déterminé par des mécanismes d’ordre génétique et biologique ; il reste ouvert au changement, à la contingence. Il est un organe constamment en interaction avec l’environnement. L’expérience laisse une trace structurelle et fonctionnelle dans le réseau neuronal. Ainsi, deux jumeaux homozygotes n’auront pas le même cerveau parce qu’ils n’auront pas vécu exactement les mêmes expériences.
«La plasticité participe à l’émergence de l’individualité du sujet. Chacune de nos expériences est unique et a un impact unique. Certes, la plasticité exprime en soi une forme de déterminisme, mais en même temps qu’elle opère cette sorte de détermination du sujet, elle l’affranchit du déterminisme génétique. En effet, si l’on met en jeu l’expérience comme déterminante dans le devenir du sujet, on s’éloigne d’un déterminisme génétique exclusif déterminant d’emblée le destin du sujet. La plasticité serait donc, ni plus ni moins, le mécanisme par lequel chaque sujet est singulier et chaque cerveau unique».
L’expérience laisse une trace… FREUD n’affirmait pas autre chose quand il postule l’existence du mécanisme de frayage et qu’il nous décrit l’expérience de satisfaction. La notion de trace mnésique est au cœur de la théorie psychanalytique. Dès lors, comment peut-on considérer, avec l’éclairage apporté par les neurosciences, L’Esquisse d’une psychologie scientifique ? Certains ont pu voir dans ce texte une fiction biologisante, qui n’aurait qu’une valeur mythique et sans réelle valeur scientifique ; son intérêt resterait mineur, ce que tendrait à confirmer le fait que FREUD ait d’une certaine manière abandonné son projet.
Le fait pour FREUD de s’appuyer sur des disciplines connexes à la psychanalyse est loin d’être unique ; le parallélisme pourrait être fait avec Totem et tabou, où, à partir de considérations d’ordre anthropologique, il tente d’asseoir sa théorisation autour du complexe d’Œdipe en faisant l’hypothèse du meurtre du père primitif. Cependant, rien dans les connaissances actuelles dans le domaine de l’anthropologie ne vient confirmer l’existence d’un fait historique qui pourrait correspondre à l’élaboration freudienne autour de la horde primitive ; cela n’enlève rien à l’intérêt de Totem et tabou, mais le récit du meurtre du père ne correspond pas à une réalité ; il a une valeur mythique ; il constitue une narration destinée à donner une représentation des ressorts en jeu dans l’Œdipe.
Il n’en est pas exactement de même pour L’Esquisse dans la mesure où les hypothèses formulées par FREUD autour de l’inscription des traces mnésiques sont elles validées par les données actuelles de la science. Pour reprendre la thèse défendue par les auteurs auxquels nous nous référions, la plasticité neuronale constitue un nouveau paradigme dans la compréhension du lien entre le fait psychique et le fait biologique.

dimanche 14 décembre 2008

Happy birthday, Mr DARWIN (1809-1882)

Si sur le sujet de la plasticité cérébrale, nous avons choisi au départ de citer Jean Pierre CHANGEUX, il convient également de se référer à Gerald M. EDELMAN.
Né en 1929 à New York, il a reçu en 1972 avec Robert PORTER le prix Nobel en médecine et physiologie pour des travaux qu’ils ont menés de façon indépendante sur la structure chimique des anticorps. Il est directeur du Neurosciences Institute, à La Jolla, en Californie, président de la Neurosciences Research Foundation et chef du département de neurobiologie du Scripps Research Institute.
Il a été le Président d’honneur du Congrès international sur le thème Biologie et conscience qui s’est tenu à Paris les 25, 26 et 27 avril 2002, au Conservatoire National des Arts et Métiers, congrès auquel j’ai eu la chance d'assister… ce qui tend à prouver que ma curiosité pour ce sujet remonte au moins à quelques années en arrière.
Il a écrit plusieurs ouvrages de vulgarisation tels que Biologie de la conscience (1992), Comment la matière devient conscience (2000), Plus vaste que le ciel – Une théorie générale du cerveau (2004) et un plus récent encore La science du cerveau et la connaissance (2007).
Elaborée à partir des années 1980, GM EDELMAN propose une théorie générale de l’organisation et du fonctionnement du cerveau très proche de celle de JP CHANGEUX, la théorie du darwinisme neuronal qui fait l’objet du chapitre 9 de Biologie de la conscience et qui est résumée dans le chapitre 4 de Plus vaste que le ciel ; elle est ainsi appelée parce qu’elle rend compte de l’organisation du réseau neuronal selon un processus de sélection de type darwinien : il s’agit de la théorie de sélection des groupes neuronaux qui est à rapprocher de la stabilisation sélective des synapses du développement épigénétique précédemment décrite.
L’intérêt de cette théorie et ce qui en fait toute sa portée, c’est que les modèles qui la constituent s’efforcent de rendre compte à la fois, de l’organisation et du fonctionnement du cerveau chez l’adulte, mais aussi de son mode de constitution à partir des phases initiales de l’embryogenèse jusqu’à la phase de maturité, mais encore qu’elle resitue ces processus dans le processus plus vaste de la sélection naturelle de l’évolution des espèces chère à DARWIN.
«Un principe simple régit la façon dont fonctionne le cerveau : il a évolué, c’est à dire qu’il n’a pas été conçu». (EDELMAN - Plus vaste que le ciel)
Dans cette optique, des analogies peuvent être mises en évidence entre ce qui s’observe au niveau du cerveau et d’autres phénomènes biologiques d’une toute autre nature tels que le codage génétique ou encore la réponse immunitaire. Dans tous ces cas, on retrouve une information susceptible d’être stockée, mémorisée, dupliquée même si cela se réalise sous différentes formes : séquence d’acides nucléiques pour l’ADN, conformation particulière des protéines pour les immunoglobulines, réseau de connexions entre neurones au niveau cérébral… La mise en place de ces systèmes d’information présentent un certain nombre de points communs, en particulier le fait qu’ils laissent place à une part très importante d’indétermination et le fait qu’ils évoluent et qu’ils ne deviennent efficients qu’au travers d’interactions avec le milieu extérieur…
Au plan de la génétique, seules des séquences très réduites du brin d’ADN correspondent véritablement au codage d’une protéine, un même acide aminé peut être codé par différentes séquences d’acides nucléiques, certains gênes peuvent s’exprimer alors que d’autres sont réprimés, il peut se produire des altérations de l’ADN sans que cela n’entraîne de conséquences, voire certaines de ces mutations peuvent se révéler bénéfiques en favorisant par exemple l’adaptation d’un individu à un changement survenu dans son milieu et peuvent contribuer ainsi à l’évolution des espèces…
Pour ce qui est du système immunitaire, il en va un peu de même : ce n’est qu’à partir du moment où l’immunoglobuline aura été en contact avec une structure protéique spécifique avec qui elle présente une certaine affinité qu’elle va pouvoir entrer en jeu dans la réponse immunitaire ; mais une protéine de structure voisine qui n’a jamais eu de contact avec un agent extérieur qui lui serait spécifique ne jouera aucun rôle. C’est le contact ou l’absence de contact avec un allergène donné qui va sceller le destin d’une protéine ; le statut immunitaire d’un sujet va donc être déterminé par les rencontres avec les différents allergènes qu’il a croisé sur son chemin.
Il est inutile de pousser plus loin ces analogies, mais elles suffisent à en écarter une autre qui a pu être tentante et qui tendait à rapprocher le fonctionnement du cerveau avec celui d’un ordinateur. EDELMAN insiste beaucoup sur ce point et répète à l’envi, le cerveau n’est pas un ordinateur :
«… le cerveau des animaux supérieurs construit de façon autonome des réponses structurées aux environnements qui sont riches en nouveauté. Et ils ne le font pas à la manière d’un ordinateur – en se servant de règles formelles régies par des instructions ou des signaux entrants explicites et sans ambiguïtés. Une fois de plus, avec du sentiment : le cerveau n’est pas un ordinateur, et le monde n’est pas une cassette enregistrée».
La référence au modèle informatique pour appréhender le fonctionnement du cerveau se heurte effectivement à un certain nombre d’obstacles. Le premier, c’est qu’il n’est pas envisageable de considérer que l’ensemble des réponses aux situations infiniment variées auxquels un individu va se trouver confronté puissent être programmées par avance… Les programmes informatiques sont dans leurs principes assez «carrés» et ils s’accommodent mal d’écarts, de variations, d’ambiguïté, d’indétermination, d'imprévisibilité... toutes choses qu’il est bien difficile d’éviter dans la vie réelle…
Certaines distinctions pertinentes dans le monde informatique qui existent par exemple entre données et programmes, entre logiciel et matériel (software et hardware en anglais) ne le sont plus lorsque nous considérons le cerveau : la plasticité cérébrale atteste que son fonctionnement affecte et détermine pour un part sa structure même… pour l’heure, aucun programme informatique, aussi sophistiqué soit-il, n’est en mesure de réaliser pareille prouesse.
Et puis, si l’on parle de programme, d’instructions… cela implique qu’il y ait un concepteur de ce programme. Certains mouvements actuels tendent à s’opposer à l’évolutionnisme et défendent des thèses créationnistes ou néo créationnistes du dessein intelligent (Intelligent Design en anglais), mais qu’il nous soit permis de mettre en doute leur valeur scientifique. Si donc nous voulons faire l’économie de l'hypothèse d’une intervention divine, extérieure à notre monde naturel, il n’est pas possible de répondre à cette question de la conception du programme.
Issue du modèle informatique, seule éventuellement pourrait être conservée l’analogie avec le réseau Internet dont le développement n’est pas incompatible avec une conception néo darwinienne (cf. Homo sapiens 2.0 de Gérard AYACHE déjà cité)…

mercredi 3 décembre 2008

72èmes journées de la SFPEADA --- Psychopathologie de l'enfant et neurosciences

La psychopathologie de l’enfant représente l’ensemble des hypothèses formulées aujourd’hui pour mieux comprendre et résoudre les difficultés de l’enfant dans les différentes composantes de son existence et de son développement.
C’est ainsi que les aspects intellectuels et cognitifs, affectifs et émotionnels, développementaux et sociofamiliaux se conjuguent pour nous donner des pistes de réflexion afin de construire les outils pour aider l’enfant et sa famille à faire face aux distorsions qu’il traverse. Si la psychopathologie vient en grande partie des travaux s’inspirant de la psychanalyse, elle ne s’y réduit pas et il y aura lieu d’en proposer une synthèse ouverte pour montrer l’étendue du champ qui la constitue. Mais ce qui a changé ces dernières années, ce sont les découvertes nombreuses et importantes dans le domaine des neurosciences.
Beaucoup ont vu dans ces avancées passionnantes une occasion de fragilité pour la psychopathologie, trouvant dans les neurosciences des arguments de nature à enterrer définitivement toutes velléités centrées sur les spécificités de l’appareil psychique. De même du côté de la psychopathologie, quelques adeptes de la séparation irréductible entre corps et psyché sont encore persuadés que nous n’avons rien à attendre de ces progrès scientifiques portant sur le fonctionnement cérébral. Aujourd’hui, aussi bien du côté de nos pratiques que de celui des recherches et des dispositifs qui en découlent, il nous semble primordial de réfléchir à ces deux champs différents, non plus en termes de ressemblances, de convergences ou d’oppositions irréductibles, mais en termes d’articulations fonctionnelles, de ponts conceptuels, de complémentarités ordonnées.
Ce congrès de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et des Disciplines Associées qui aura lieu à Lille les 5 et 6 Juin 2009, en proposant précisément comme thème «Psychopathologie de l’enfant et neurosciences» a l’ambition de servir à ce rapprochement nécessaire afin d’aider à penser désormais les concepts qui permettront de construire les ponts reliant les divers sous continents des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être concernés par la souffrance psychique de l’enfant. Aussi bien lors des séances plénières que lors des symposium et des ateliers, tout sera mis en oeuvre pour faciliter la fécondité de ce travail à la fois difficile mais passionnant. Il nous importe grandement que tous les praticiens de l’enfance et de l’adolescence, quels que soient leurs statuts professionnels, puissent participer activement à ce processus de réarticulation de la pédopsychiatrie avec toutes les disciplines connexes, et plus particulièrement avec les neurosciences, dans une perspective résolument anthropologique.
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http://www.psy-enfant-ado.com/fr/sfpeada2009/index.html