mardi 30 décembre 2008

Oh ! My GOD !

G.O.D. : Generator Of Diversity… c’est par ce trait d’esprit que les scientifiques caractérisent les processus tels que le darwinisme neuronal qui conduisent à une émergence de diversité, de singularité… C’est ainsi que François ANSERMET et Pierre MAGISTRETTI peuvent écrire A chacun son cerveau. Le premier est psychanalyste, professeur de pédopsychiatrie à la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, médecin chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent tandis que le second est professeur de neurosciences à l’école polytechnique fédérale et à l’Université de Lausanne et également directeur du centre de neurosciences psychiatriques de Centre hospitalier universitaire vaudois
Ils proposent dans ce livre une articulation originale entre psychanalyse et neurosciences autour du mécanisme de plasticité cérébrale.
Il est établi que le cerveau n’est pas exclusivement déterminé par des mécanismes d’ordre génétique et biologique ; il reste ouvert au changement, à la contingence. Il est un organe constamment en interaction avec l’environnement. L’expérience laisse une trace structurelle et fonctionnelle dans le réseau neuronal. Ainsi, deux jumeaux homozygotes n’auront pas le même cerveau parce qu’ils n’auront pas vécu exactement les mêmes expériences.
«La plasticité participe à l’émergence de l’individualité du sujet. Chacune de nos expériences est unique et a un impact unique. Certes, la plasticité exprime en soi une forme de déterminisme, mais en même temps qu’elle opère cette sorte de détermination du sujet, elle l’affranchit du déterminisme génétique. En effet, si l’on met en jeu l’expérience comme déterminante dans le devenir du sujet, on s’éloigne d’un déterminisme génétique exclusif déterminant d’emblée le destin du sujet. La plasticité serait donc, ni plus ni moins, le mécanisme par lequel chaque sujet est singulier et chaque cerveau unique».
L’expérience laisse une trace… FREUD n’affirmait pas autre chose quand il postule l’existence du mécanisme de frayage et qu’il nous décrit l’expérience de satisfaction. La notion de trace mnésique est au cœur de la théorie psychanalytique. Dès lors, comment peut-on considérer, avec l’éclairage apporté par les neurosciences, L’Esquisse d’une psychologie scientifique ? Certains ont pu voir dans ce texte une fiction biologisante, qui n’aurait qu’une valeur mythique et sans réelle valeur scientifique ; son intérêt resterait mineur, ce que tendrait à confirmer le fait que FREUD ait d’une certaine manière abandonné son projet.
Le fait pour FREUD de s’appuyer sur des disciplines connexes à la psychanalyse est loin d’être unique ; le parallélisme pourrait être fait avec Totem et tabou, où, à partir de considérations d’ordre anthropologique, il tente d’asseoir sa théorisation autour du complexe d’Œdipe en faisant l’hypothèse du meurtre du père primitif. Cependant, rien dans les connaissances actuelles dans le domaine de l’anthropologie ne vient confirmer l’existence d’un fait historique qui pourrait correspondre à l’élaboration freudienne autour de la horde primitive ; cela n’enlève rien à l’intérêt de Totem et tabou, mais le récit du meurtre du père ne correspond pas à une réalité ; il a une valeur mythique ; il constitue une narration destinée à donner une représentation des ressorts en jeu dans l’Œdipe.
Il n’en est pas exactement de même pour L’Esquisse dans la mesure où les hypothèses formulées par FREUD autour de l’inscription des traces mnésiques sont elles validées par les données actuelles de la science. Pour reprendre la thèse défendue par les auteurs auxquels nous nous référions, la plasticité neuronale constitue un nouveau paradigme dans la compréhension du lien entre le fait psychique et le fait biologique.

dimanche 14 décembre 2008

Happy birthday, Mr DARWIN (1809-1882)

Si sur le sujet de la plasticité cérébrale, nous avons choisi au départ de citer Jean Pierre CHANGEUX, il convient également de se référer à Gerald M. EDELMAN.
Né en 1929 à New York, il a reçu en 1972 avec Robert PORTER le prix Nobel en médecine et physiologie pour des travaux qu’ils ont menés de façon indépendante sur la structure chimique des anticorps. Il est directeur du Neurosciences Institute, à La Jolla, en Californie, président de la Neurosciences Research Foundation et chef du département de neurobiologie du Scripps Research Institute.
Il a été le Président d’honneur du Congrès international sur le thème Biologie et conscience qui s’est tenu à Paris les 25, 26 et 27 avril 2002, au Conservatoire National des Arts et Métiers, congrès auquel j’ai eu la chance d'assister… ce qui tend à prouver que ma curiosité pour ce sujet remonte au moins à quelques années en arrière.
Il a écrit plusieurs ouvrages de vulgarisation tels que Biologie de la conscience (1992), Comment la matière devient conscience (2000), Plus vaste que le ciel – Une théorie générale du cerveau (2004) et un plus récent encore La science du cerveau et la connaissance (2007).
Elaborée à partir des années 1980, GM EDELMAN propose une théorie générale de l’organisation et du fonctionnement du cerveau très proche de celle de JP CHANGEUX, la théorie du darwinisme neuronal qui fait l’objet du chapitre 9 de Biologie de la conscience et qui est résumée dans le chapitre 4 de Plus vaste que le ciel ; elle est ainsi appelée parce qu’elle rend compte de l’organisation du réseau neuronal selon un processus de sélection de type darwinien : il s’agit de la théorie de sélection des groupes neuronaux qui est à rapprocher de la stabilisation sélective des synapses du développement épigénétique précédemment décrite.
L’intérêt de cette théorie et ce qui en fait toute sa portée, c’est que les modèles qui la constituent s’efforcent de rendre compte à la fois, de l’organisation et du fonctionnement du cerveau chez l’adulte, mais aussi de son mode de constitution à partir des phases initiales de l’embryogenèse jusqu’à la phase de maturité, mais encore qu’elle resitue ces processus dans le processus plus vaste de la sélection naturelle de l’évolution des espèces chère à DARWIN.
«Un principe simple régit la façon dont fonctionne le cerveau : il a évolué, c’est à dire qu’il n’a pas été conçu». (EDELMAN - Plus vaste que le ciel)
Dans cette optique, des analogies peuvent être mises en évidence entre ce qui s’observe au niveau du cerveau et d’autres phénomènes biologiques d’une toute autre nature tels que le codage génétique ou encore la réponse immunitaire. Dans tous ces cas, on retrouve une information susceptible d’être stockée, mémorisée, dupliquée même si cela se réalise sous différentes formes : séquence d’acides nucléiques pour l’ADN, conformation particulière des protéines pour les immunoglobulines, réseau de connexions entre neurones au niveau cérébral… La mise en place de ces systèmes d’information présentent un certain nombre de points communs, en particulier le fait qu’ils laissent place à une part très importante d’indétermination et le fait qu’ils évoluent et qu’ils ne deviennent efficients qu’au travers d’interactions avec le milieu extérieur…
Au plan de la génétique, seules des séquences très réduites du brin d’ADN correspondent véritablement au codage d’une protéine, un même acide aminé peut être codé par différentes séquences d’acides nucléiques, certains gênes peuvent s’exprimer alors que d’autres sont réprimés, il peut se produire des altérations de l’ADN sans que cela n’entraîne de conséquences, voire certaines de ces mutations peuvent se révéler bénéfiques en favorisant par exemple l’adaptation d’un individu à un changement survenu dans son milieu et peuvent contribuer ainsi à l’évolution des espèces…
Pour ce qui est du système immunitaire, il en va un peu de même : ce n’est qu’à partir du moment où l’immunoglobuline aura été en contact avec une structure protéique spécifique avec qui elle présente une certaine affinité qu’elle va pouvoir entrer en jeu dans la réponse immunitaire ; mais une protéine de structure voisine qui n’a jamais eu de contact avec un agent extérieur qui lui serait spécifique ne jouera aucun rôle. C’est le contact ou l’absence de contact avec un allergène donné qui va sceller le destin d’une protéine ; le statut immunitaire d’un sujet va donc être déterminé par les rencontres avec les différents allergènes qu’il a croisé sur son chemin.
Il est inutile de pousser plus loin ces analogies, mais elles suffisent à en écarter une autre qui a pu être tentante et qui tendait à rapprocher le fonctionnement du cerveau avec celui d’un ordinateur. EDELMAN insiste beaucoup sur ce point et répète à l’envi, le cerveau n’est pas un ordinateur :
«… le cerveau des animaux supérieurs construit de façon autonome des réponses structurées aux environnements qui sont riches en nouveauté. Et ils ne le font pas à la manière d’un ordinateur – en se servant de règles formelles régies par des instructions ou des signaux entrants explicites et sans ambiguïtés. Une fois de plus, avec du sentiment : le cerveau n’est pas un ordinateur, et le monde n’est pas une cassette enregistrée».
La référence au modèle informatique pour appréhender le fonctionnement du cerveau se heurte effectivement à un certain nombre d’obstacles. Le premier, c’est qu’il n’est pas envisageable de considérer que l’ensemble des réponses aux situations infiniment variées auxquels un individu va se trouver confronté puissent être programmées par avance… Les programmes informatiques sont dans leurs principes assez «carrés» et ils s’accommodent mal d’écarts, de variations, d’ambiguïté, d’indétermination, d'imprévisibilité... toutes choses qu’il est bien difficile d’éviter dans la vie réelle…
Certaines distinctions pertinentes dans le monde informatique qui existent par exemple entre données et programmes, entre logiciel et matériel (software et hardware en anglais) ne le sont plus lorsque nous considérons le cerveau : la plasticité cérébrale atteste que son fonctionnement affecte et détermine pour un part sa structure même… pour l’heure, aucun programme informatique, aussi sophistiqué soit-il, n’est en mesure de réaliser pareille prouesse.
Et puis, si l’on parle de programme, d’instructions… cela implique qu’il y ait un concepteur de ce programme. Certains mouvements actuels tendent à s’opposer à l’évolutionnisme et défendent des thèses créationnistes ou néo créationnistes du dessein intelligent (Intelligent Design en anglais), mais qu’il nous soit permis de mettre en doute leur valeur scientifique. Si donc nous voulons faire l’économie de l'hypothèse d’une intervention divine, extérieure à notre monde naturel, il n’est pas possible de répondre à cette question de la conception du programme.
Issue du modèle informatique, seule éventuellement pourrait être conservée l’analogie avec le réseau Internet dont le développement n’est pas incompatible avec une conception néo darwinienne (cf. Homo sapiens 2.0 de Gérard AYACHE déjà cité)…

mercredi 3 décembre 2008

72èmes journées de la SFPEADA --- Psychopathologie de l'enfant et neurosciences

La psychopathologie de l’enfant représente l’ensemble des hypothèses formulées aujourd’hui pour mieux comprendre et résoudre les difficultés de l’enfant dans les différentes composantes de son existence et de son développement.
C’est ainsi que les aspects intellectuels et cognitifs, affectifs et émotionnels, développementaux et sociofamiliaux se conjuguent pour nous donner des pistes de réflexion afin de construire les outils pour aider l’enfant et sa famille à faire face aux distorsions qu’il traverse. Si la psychopathologie vient en grande partie des travaux s’inspirant de la psychanalyse, elle ne s’y réduit pas et il y aura lieu d’en proposer une synthèse ouverte pour montrer l’étendue du champ qui la constitue. Mais ce qui a changé ces dernières années, ce sont les découvertes nombreuses et importantes dans le domaine des neurosciences.
Beaucoup ont vu dans ces avancées passionnantes une occasion de fragilité pour la psychopathologie, trouvant dans les neurosciences des arguments de nature à enterrer définitivement toutes velléités centrées sur les spécificités de l’appareil psychique. De même du côté de la psychopathologie, quelques adeptes de la séparation irréductible entre corps et psyché sont encore persuadés que nous n’avons rien à attendre de ces progrès scientifiques portant sur le fonctionnement cérébral. Aujourd’hui, aussi bien du côté de nos pratiques que de celui des recherches et des dispositifs qui en découlent, il nous semble primordial de réfléchir à ces deux champs différents, non plus en termes de ressemblances, de convergences ou d’oppositions irréductibles, mais en termes d’articulations fonctionnelles, de ponts conceptuels, de complémentarités ordonnées.
Ce congrès de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et des Disciplines Associées qui aura lieu à Lille les 5 et 6 Juin 2009, en proposant précisément comme thème «Psychopathologie de l’enfant et neurosciences» a l’ambition de servir à ce rapprochement nécessaire afin d’aider à penser désormais les concepts qui permettront de construire les ponts reliant les divers sous continents des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être concernés par la souffrance psychique de l’enfant. Aussi bien lors des séances plénières que lors des symposium et des ateliers, tout sera mis en oeuvre pour faciliter la fécondité de ce travail à la fois difficile mais passionnant. Il nous importe grandement que tous les praticiens de l’enfance et de l’adolescence, quels que soient leurs statuts professionnels, puissent participer activement à ce processus de réarticulation de la pédopsychiatrie avec toutes les disciplines connexes, et plus particulièrement avec les neurosciences, dans une perspective résolument anthropologique.
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http://www.psy-enfant-ado.com/fr/sfpeada2009/index.html

dimanche 30 novembre 2008

Inventaire... à la Prévert

La poursuite de notre brève étude de l’Esquisse, me conduit à vous proposer une forme d’inventaire des différents notions psychanalytiques qui y sont abordées, la liste n’en étant pas forcément exhaustive… Pour certaines d’entre elles, il n’est nul besoin de se plonger dans le texte et il suffit de se reporter à l’intitulé des paragraphes de l’Esquisse ; pour les plus importantes, nous situerons les prolongements que FREUD y apportera dans la suite de son œuvre.
- une préfiguration de la première topique : au système φ auquel se rattachent les phénomènes de perception et au système ψ, dans lequel s’enregistrent sous forme de traces mnésiques les perceptions, FREUD vient rajouter le système ω, qui est le lieu de la conscience. C’est dans L’interprétation des rêves (1900) et particulièrement dans son chapitre VII qu’il donnera une forme définitive à sa première topique avec la mise en place des systèmes Inconscient – Préconscient – Conscient en reprenant pour une très large part les développements de l’Esquisse.
- une préfiguration de la deuxième topique développée dans Le moi et le ça (1923) avec les Premières notions du moi, une instance à l’interface d’une réalité interne et d’une réalité externe, qui régule les flux d’énergie selon le principe de plaisir/déplaisir, mais avec la prise en compte de la réalité externe.
- une opposition principe de plaisir – principe de réalité : devant l’échec du réinvestissement hallucinatoire de la trace mnésique de l’objet de satisfaction, le nourrisson est conduit à tenir compte de la réalité, sa satisfaction réelle étant liée à la présence ou l’absence de l’objet de satisfaction. L’élaboration achevée de FREUD sur ce sujet se retrouve dans Formulation sur les deux principes du fonctionnement psychique (1911). Il y est fait également allusion dans La (dé)négation (1925) où il est possible de lire «… ce qui détermine l’institution de l’épreuve de réalité, c’est que des objets qui autrefois avaient apporté une satisfaction réelle ont été perdus».
- une dualité entre processus primaire – processus secondaire : elle fait l’objet d’un paragraphe de l’Esquisse : «Une charge en désir allant jusqu’à l’hallucination, jusqu’à la production totale de déplaisir et impliquant l’intervention de toute la défense peut être qualifiée de ’’processus psychique primaire’’. Nous appellerons ’’processus secondaires’’, au contraire, ceux que rendent possibles un bon investissement du moi et une modération du processus primaire».
- une modélisation dans l’expérience de satisfaction de la relation à l’objet primaire, la mère, qui se trouve être au fondement de toutes les relations objectales ultérieures.
- un clivage entre bon et mauvais objet : FREUD parle d’une personne secourable dans le paragraphe sur l’Epreuve de satisfaction et de l’objet hostile dans le paragraphe qui suit immédiatement, traitant de l’Epreuve de douleur. Il est possible de reconnaître dans ces figures les précurseurs des bons et mauvais objets kleiniens ou de la mère suffisamment bonne de Winnicott…
- une ébauche de la théorie de la pulsion ultérieurement explicitée dans Pulsions et destins des pulsions (1915). En effet, il est également loisible de reconnaître dans cet objet primaire l’objet pulsionnel. On se rappelle que la pulsion a sa source dans une excitation corporelle, son but étant de supprimer l’état de tension qui règne à la source pulsionnelle et que c’est dans l’objet ou grâce à lui que la pulsion peut atteindre son but. Tous les ingrédients en jeu dans la pulsion, tous ses composants sont déjà en place dans l’expérience de satisfaction telle qu’elle nous est décrite dans l’Esquisse.
- une articulation du besoin et du désir : les soins maternels et l’apport de la nourriture permettent bien sûr la satisfaction du besoin avec la disparition de la tension et du déplaisir causés par la faim, mais ils procurent en outre un plaisir supplémentaire, lié à l’excitation de la zone orale, toute première zone érogène chez le nourrisson. Le désir peut se définir comme la recherche de cette jouissance première à jamais fixée dans des traces mnésiques inconscientes.
- une théorie du rêve qui sera bien évidemment très largement développée dans L’interprétation des rêves (1900) : le rêve comme accomplissement d’un désir, par un réinvestissement hallucinatoire des traces mnésiques liées à l’expérience de satisfaction.
- …
Et nous nous en tenons à la seule première partie de l’Esquisse qui en comporte trois, la seconde étant consacrée à la psychopathologie qui renvoie bien évidemment aux Etudes sur l’hystérie et autres articles rassemblés dans Névrose, psychose et perversion et la troisième au processus ψ normaux.
L’abandon par FREUD de son Projet de psychologique scientifique tient sûrement à la difficulté d'opérer une synthèse satisfaisante des différentes conceptions qui y sont développées. Mais, cela n’enlève rien à la richesse des fragments qui y sont présentés… L’Esquisse constitue un véritable vivier conceptuel dans lequel FREUD viendra puiser tout au long de sa vie pour l’élaboration de l’ensemble de sa métapsychologie.

dimanche 23 novembre 2008

Mega top, les neurones… hyper branchés !

La plasticité cérébrale conduit à aborder des notions quelque peu techniques, mais le sujet est passionnant et, de notre point de vue, difficile à ignorer en ce début du XXIe siècle. Les médias font régulièrement état des découvertes les plus récentes dans le domaine des neurosciences, des articles sur ce thème se multiplient dans les magasines, des émissions de télévision y sont consacrées… L’honnête homme d’aujourd’hui ne peut le méconnaître, encore moins l’honnête psychiatre ou tout honnête soignant exerçant dans cette discipline, sinon à courir le risque qu’une telle attitude participe d’une forme d’obscurantisme.
Au cours de l’embryogenèse, les neuroblastes donnent naissance aux neurones qui viennent se positionner là où ils le doivent et en particulier au niveau du cortex cérébral. Suite à la prolifération des cellules nerveuses et à leur migration vers leur emplacement définitif dans le cerveau, on assiste au développement des dendrites et de l’axone. Chaque neurone est en effet composé d’un corps cellulaire, de dendrites et d’un axone ; la fonction qui sera la sienne dépend de sa localisation et des connexions qu’il établit avec les autres neurones. Ces connexions se font au niveau des synapses : les dendrites correspondent à la zone réceptrice du neurone tandis que l’axone correspond à la zone émettrice ; ce dernier, de dimension variable, peut mesurer jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres, une taille gigantesque en comparaison de celle du corps cellulaire ; c’est le cas par exemple des neurones du cortex moteur qui sont reliés au motoneurones de la moelle épinière.

L'homme neuronal - J.P. CHANGEUX
L’une des premières difficultés consiste en ce que l’axone puisse atteindre sa cellule cible. Pour cela, le cône de croissance de l’axone est en quelque sorte guidé par des signaux chimiques qui lui permettent d’atteindre sa destination finale. S’ensuit l’étape de la synaptogénèse : les premiers contacts synaptiques simples apparaissent au cours du cinquième mois de gestation ; le développement synaptique se fait de manière extensive dans toutes les régions du cerveau au cours du septième mois et se poursuit après la naissance, avec une densité synaptique maximale entre six et douze mois.
L’étape suivante ne peut se concevoir qu’en ayant à l’esprit le caractère redondant du système neuronal à ce stade de connectivité maximale, soit l’existence d’un surnombre de neurones et de connexions synaptiques : 60% des synapses seront éliminées quand le cerveau arrive à maturité à l’âge adulte. La théorie de la stabilisation sélective des synapses de J.P. CHANGEUX renvoie à deux phénomènes : la disparition de certains axones par la mort du neurone, phénomène dit d’apoptose, et la stabilisation de certaines connexions synaptiques au détriment d’autres qui vont au contraire régresser. C’est l’activité des neurones qui va ainsi sélectionner les circuits neuronaux les plus efficients : seules seront conservées les connexions synaptiques intégrées dans un circuit neuronal fonctionnel. Le fonctionnement du système nerveux va donc avoir un impact direct sur sa structure, dans un processus d’auto organisation largement déterminé par les interactions de l’organisme avec son environnement.
Cette présentation est bien évidemment extrêmement simplifiée, mais nous l’espérons suffisante pour notre propos. Il en ressort entre autre que la théorie du frayage avancée par FREUD se trouve bel et bien confirmée par les données actuelles de la science, qu’elles soient tirées de l’expérimentation animale ou de l’imagerie cérébrale chez l’être humain.
Pour terminer, il faut encore rajouter que la plasticité cérébrale se manifeste de façon éclatante dans les phases précoces du développement, au cours des premières années de la vie, mais qu’elle se poursuit jusqu’à la maturité complète du système nerveux après l’adolescence et même au-delà, chez l’adulte, tout au long de la vie. La plasticité cérébrale est en effet essentielle dans les phénomènes liés à la mémoire et aux apprentissages. Elle permet également de compenser certains dysfonctionnements résultant de lésions du système nerveux. Tout récemment, il a été démontré que de nouveaux neurones pouvaient se former chez l’adulte, alors qu’il était couramment admis jusqu’ici que le stock de neurones était constitué à la naissance et qu’il ne faisait que diminuer, avec l’avancée en âge…
Tout ceci ne peut que nous inciter à faire un bon usage de notre cerveau, en évitant de trop le laisser se ramollir…

samedi 15 novembre 2008

(I can’t get no) Satisfaction

La poursuite de la lecture de l’Esquisse nous conduit à ce qui a été retenu sous le terme d’Expérience de satisfaction. Nous renvoyons le lecteur disposant d’un exemplaire du Vocabulaire de la psychanalyse de LAPLANCHE et PONTALIS à l’article fort bien fait consacré à ce thème. Pour ceux qui en seraient dépourvus, nous allons nous efforcer de résumer ce que recouvre cette expérience originaire postulée par FREUD chez le nourrisson, qui consiste en l’apaisement d’une tension interne créée par le besoin grâce à une intervention extérieure.
Avant de la présenter, il nous faut cependant compléter la description sommaire faite de l’appareil psychique en rajoutant que le système ψ reçoit des influx provenant non seulement des perceptions du monde extérieur par l’intermédiaire des neurones φ, mais également de l’organisme lui-même. Contrairement aux perceptions extérieures dont il est possible de se préserver au moins partiellement par la motricité, il s’avère impossible de se soustraire aux excitations endogènes, provenant de l’intérieur du corps.
Examinons le fonctionnement de l’appareil psychique dans l’exemple proposé de l’expérience de satisfaction. Une excitation grandissante est perçue par le nourrisson liée à la sensation de faim. Du fait de l’état de détresse et d’impuissance dans lequel il se trouve, de par l’immaturité de son système nerveux, il est dans l’incapacité de satisfaire par lui-même ce besoin. Il va alors tenter de se libérer de l’état d’excitation par une agitation motrice, par des cris… Cette activité motrice en elle-même n’est pas en mesure de procurer un apaisement, mais elle va avoir pour effet d’alerter une personne extérieure qui elle, par une action appropriée, soit l’apport de nourriture, va être en capacité de répondre aux besoins de l’enfant et de faire cesser l’état de déplaisir auquel il était soumis.
Le nourrisson va conserver de cette expérience, par le mécanisme de frayage, des traces mnésiques qui associent la sensation de tension liée à la faim, la réponse motrice que cette tension entraîne et la satisfaction du besoin par l’intervention adéquate d’un objet extérieur. Lorsque, ultérieurement, la sensation de faim va resurgir, il y aura une réactivation de ces traces mnésiques aboutissant dans un premier temps à une satisfaction du besoin sur un mode hallucinatoire, par un réinvestissement de l’image de l’objet qui avait été source de plaisir : cette hallucination primaire correspond à l’émergence des toutes premières représentations mentales de l’enfant. Mais cette satisfaction sur un mode hallucinatoire ne peut apaiser la tension ressentie ; la réactivation des traces mnésiques est insuffisante à compenser l’absence de l’objet.
Le nourrisson va de ce fait être conduit à investir la réalité extérieure, dans la mesure où seul un objet externe est susceptible de satisfaire ses besoins vitaux. A partir de là, les cris et l’agitation motrice qui initialement ne résultaient que d’une action réflexe vont petit à petit s’inscrire dans un processus de communication et prendre valeur d’une demande adressée à l’autre. La rencontre première avec l’objet, source de satisfaction, va être constitutive du désir ; elle guidera tout au long de la vie la recherche de l’objet satisfaisant.
Il n'est pas inutile d’insister sur le fait que l’expérience de satisfaction est liée à l’état de détresse originel de l’être humain et de sa dépendance, pour sa survie, à l’égard de l’autre, seul capable, par une action spécifique, de réduire la tension résultant des excitations endogènes. Cette prématuration du nouveau-né avec la totale dépendance à autrui qui l’accompagne sur une période prolongée, loin de constituer un handicap en terme d’évolution comme on pourrait l’imaginer au regard d’autres espèces animales plus aptes à subvenir précocement à leurs besoins, contribue au contraire à un développement exceptionnel de l’humain, par le renforcement de l’importance du lien à l’autre, dont la survie même de l’enfant dépend.
« L’organisme humain à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alerté, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris de l’enfant, par exemple). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrême importance : celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient ainsi la source première de tous les motifs moraux ».
On peut également retenir que les traces mnésiques des différents événements qui constituent l’expérience de satisfaction se trouvent associées du fait de leur contemporanéité : « Or, il existe une loi fondamentale d’association par simultanéité et cette loi joue au cours de l’activité ψ pure (durant la reproduction par le souvenir) et donne le fondement de toutes les connexions entre neurones ψ », une proposition qui ne se trouve pas démentie par les connaissances actuelles sur le phénomène de la mémoire.

dimanche 9 novembre 2008

«L’homme neuronal» selon J.P. CHANGEUX

Jean-Pierre CHANGEUX, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, directeur du laboratoire de neurologie moléculaire de l’Institut Pasteur a en outre présidé le Comité national consultatif d’éthique de 1992 à 1998, ceci pour ne retenir que les plus importants de ses titres et fonctions. La parution de son ouvrage en 1983 a trouvé un large écho auprès du grand public, mais a également suscité de nombreuses controverses, en particulier dans le milieu psy. Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation qui résume et synthétise sept années d’enseignement au Collège de France portant sur les progrès récents dans la connaissance du fonctionnement du cerveau.
Dès la préface, il est écrit : «Le développement des recherches sur le système nerveux s’est toujours heurté, au cours de l’histoire, à de farouches obstacles idéologiques, à des peurs viscérales, à droite comme à gauche. Toute recherche qui, directement ou indirectement, touche à l’immatérialité de l’âme met la foi en péril et est vouée au bûcher. On craint aussi l’impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpées par certains, peuvent devenir des armes oppressives».
L’intérêt du premier chapitre, L’organe de l’âme de l’Egypte ancienne à la Belle Epoque, est précisément de retracer l’historique des théories et découvertes sur le cerveau, son rôle et son fonctionnement. Ceci permet en particulier de reconsidérer les polémiques d'aujourd'hui au regard des controverses plus anciennes qui ont émaillé l’évolution des idées sur ce thème.
Dans l’état actuel des connaissances, il apparaît que le cerveau humain résulte de l’aboutissement d’évolutions multiples, phylogénétique, ontogénétique et épigénétique, se situant sur des échelles de temps très différentes.
L’évolution phylogénétique, par le mécanisme de la sélection naturelle, aboutit à une complexification croissante du système nerveux, des organismes les plus simples jusqu’à Homo sapiens en passant par nos lointains ancêtres, poissons et dinosaures. La structure même de notre cerveau reflète cette évolution puisqu’il est possible de distinguer un cerveau reptilien, le plus ancien, composé du cervelet et du tronc cérébral, chargé d’assurer le contrôle des fonctions vitales, un cerveau limbique, constitué de structures cérébrales profondes, – hippocampe, amygdales, hypothalamus… – apparues avec les premiers mammifères et qui participe à la gestion de nos émotions et enfin le néocortex, composé des deux hémisphères cérébraux qui prend une importance considérable chez les primates et particulièrement chez l’homme en étant le siège des fonctions cérébrales supérieures telles que la conscience, le langage, la mémoire et les apprentissages…
L’évolution ontogénétique, depuis la conception jusqu’à la formation de l’organisme, découle de la réalisation du programme génétique. A partir de l’union des gamètes et des premières divisions cellulaires, des différenciations vont conduire à la formation de trois feuillets – ectoderme, mésoderme et endoderme. Le système nerveux se développe à partir de l’ectoderme avec la formation du tube neural, puis des différenciations successives aboutissent à la mise en place des principales structures qui le composent.
Le développement postnatal, dit épigénétique aboutit à la constitution des réseaux neuronaux grâce aux interactions avec le milieu physique et socioculturel : l'évolution du cerveau superpose, à l'action des gènes, un développement intrinsèque coordonné par l'apprentissage et l'expérience propres au cerveau de chaque individu. Compte tenu du nombre extrêmement élevé des neurones, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards, et du nombre encore plus grand de leurs connexions, de l'ordre d'un million de milliards, il apparaît en effet que les gênes sont insuffisants pour coder l’ensemble de l’architecture du système nerveux, jusque dans ses moindres détails. Dans le débat sur les liens unissant corps et esprit, les accusations selon lesquelles la perspective neurobiologique serait réductrice ne sont pas fondées dans la mesure où la maturation du système nerveux, inachevée à la naissance, aboutit sous l'effet d’une histoire strictement individuelle et qu’elle n’est pas exclusivement déterminée par l’exécution d’un programme génétique fixé d’avance.
Dans sa conclusion, Jean-Pierre CHANGEUX peut écrire : «Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l'homme paraissent, en effet, suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais, à quoi bon parler d’ ’’Esprit’’ ? Il n’y a plus que deux ’’aspects’’ d’un seul et même événement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l’introspection), soit à celui du neurobiologiste». A rapprocher de certaines propositions de FREUD précédemment citées sur ce même sujet.

jeudi 30 octobre 2008

«L’homme neuronal» selon S. FREUD

Non, non, je vous rassure, je ne suis pas en proie à une grave confusion mentale et en train de m’embrouiller dans mes références… Au risque de me montrer provocateur, une fois de plus peut-être, j’avancerais ici que Jean-Pierre CHANGEUX, le véritable auteur de «L’homme neuronal», avait un illustre prédécesseur en la personne du père de la psychanalyse.
Il n’est sûrement pas utile de rentrer dans le détail des réflexions de FREUD autour de sa conception de l’appareil neuronique et nous nous contenterons d’en indiquer les grandes lignes qui peuvent être illustrées par le schéma ci-dessus extrait de L'esquisse.
Le premier point à considérer, c’est que l’unité fonctionnelle qui est ici individualisée correspond à la cellule nerveuse alors que dans le traité sur les aphasies, on se rappelle que la physiologie était envisagée à une échelle supérieure, soit celle des aires du cortex cérébral. Le second point est d’ordre énergétique, l’activité du système nerveux étant rapportée à une circulation d’énergie le long des fibres nerveuses. Le dernier point renvoie au fait que ce flux énergétique doit franchir une barrière de contact pour passer d’un neurone à l’autre. Ces trois points correspondent bien évidemment aux définitions du neurone, de l’influx nerveux et de la synapse dont l’étude a été très largement développée depuis.
Le fonctionnement du système nerveux serait sous-tendu, selon FREUD, par un principe d’inertie et un principe de constance. Le premier vise à réduire le flux énergétique parvenant au système nerveux, toute excitation conduisant à une décharge, sur le modèle de l’arc réflexe ; le second vise à ramener le niveau énergétique à un niveau constant et le plus faible possible, lequel principe peut se rapprocher des notions plus modernes d’autorégulation et d’homéostasie. Dans la théorie psychanalytique, principe d’inertie rattaché aux processus primaires et principe de constance rattaché aux processus secondaires sont, sinon équivalents, du moins corrélés au principe de plaisir et au principe de réalité.
FREUD pointe une contradiction dans le fonctionnement du système nerveux et il s’efforce de dégager un modèle qui permette de la surmonter : pour maintenir une réceptivité équivalente aux diverses perceptions, le système nerveux doit se trouver dans une configuration constante ; par contre, le fait de garder en mémoire les excitations auxquelles il a été soumis doit se traduire par une modification durable à son niveau. Le dépassement de cette contradiction conduit FREUD à différencier deux systèmes : le premier qu’il nomme le système φ se rapporte aux perceptions ; le second, le système ψ est dédié à la mémoire. Les neurones φ sont perméables, n’offrent pas de résistance au flux énergétique qu’ils transmettent en intégralité, se retrouvent donc inchangés après avoir été soumis à une excitation et de ce fait conservent dans le temps la même disposition pour réagir à de nouvelles excitations. A l’inverse, les neurones ψ offrent une résistance au flux énergétique et se trouvent modifiés après son passage : il y a à leur niveau la possibilité d’inscription d’une trace, ce que FREUD désigne du terme de frayage.
Selon la définition du Vocabulaire de la psychanalyse de LAPLANCHE et PONTALIS :
«Terme utilisé par Freud lorsqu’il donne un modèle neurologique du fonctionnement de l’appareil psychique (1895) : l’excitation, dans son passage d’un neurone à l’autre, doit vaincre une certaine résistance ; lorsqu’un tel passage entraîne une diminution permanente de cette résistance, on dit qu’il y a frayage : l’excitation choisit la voie frayée de préférence à celle qui ne l’est pas».
Une définition équivalente se retrouve dans le Dictionnaire international de la psychanalyse sous la direction d’Alain de MIJOLLA
«On appelle "frayage" le passage répété par une même voie d’une excitation qui entraîne une diminution permanente de la résistance à la progression de l’excitation qui devient ainsi la voie préférée des nouvelles excitations».
Selon une mention faire par Josef BREUER dans Les études sur l’hystérie, la notion de «frayage attentionnel» est retrouvée chez Sigmund EXNER en 1894 et FREUD a pu s’en inspirer. Le concept de frayage ne sera qu’assez peu repris ultérieurement, uniquement dans L’interprétation des rêves et dans Au-delà du principe de plaisir. Il est toutefois intéressant de s’y attarder en le rapprochant de ce qui est actuellement décrit sous le terme de «plasticité cérébrale» et qui vient confirmer le rôle essentiel des expériences vécues dans l’organisation cérébrale et son remodelage permanent, considérations qui vont tout naturellement nous conduire à l’ouvrage de Jean-Pierre CHANGEUX.

samedi 25 octobre 2008

Une psychologie scientifique

Je souhaite ne heurter personne avec le rapprochement des deux termes, mais je précise qu’ils se rapportent à un texte de FREUD, même si ce n’est que sous forme de projet ou d’esquisse. Si le titre n’est pas de FREUD lui-même, dès la première phrase, l’objectif recherché ne fait pas l’ombre d’un doute : «Dans cette Esquisse, nous avons cherché à faire entrer la psychologie dans les Sciences naturelles, c’est à dire représenter les processus psychiques comme des états quantitativement déterminés de particules matérielles distinguables, ceci afin de les rendre évidents et incontestables». Il est spécifié un peu plus loin que les particules matérielles en question sont les neurones.
Avant d’examiner son contenu, il peut être utile de présenter ce travail et de mieux le situer dans l’ensemble de l’œuvre freudienne. Ce manuscrit a été intitulé «Esquisse d’une psychologie scientifique» et publié en 1950 dans le livre «La naissance de la psychanalyse», un ensemble de textes tirés de la correspondance avec FLIESS qui permet de suivre le cheminement de la pensée à l’œuvre dans la découverte de l’inconscient. Cet article est bien entendu incontournable pour qui s’intéresse aux rapports entre psychanalyse et neurosciences et il est à souligner que cette problématique nous renvoie de manière quasi automatique à des questions se rapportant à l’origine : celle de la naissance de la vie psychique chez le nourrisson, celle de l’avènement de la théorie de l’inconscient…
«L’esquisse» n’est pas considéré en soi comme un texte majeur, mais son élaboration est contemporaine de la rédaction des «Etudes sur l’hystérie», en collaboration avec BREUER, qui lui constitue incontestablement un texte fondateur de la théorie freudienne, avec le décryptage qui y est proposé du symptôme de conversion hystérique. Bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’une publication du vivant de FREUD, il est donc plus difficile de le négliger en le considérant hors du champ de la psychanalyse, comme on aurait pu être tenté de le faire avec le traité sur les aphasies.
Les appréciations portées sur ce texte sont loin d’être univoques et j’invite le lecteur à réserver au moins un temps son propre jugement, le questionnement qui s’y trouve attaché se révélant assez complexe. Les lettres à FLIESS qui font référence à «L’esquisse» témoignent d’une alternance de phases d’exaltation et de phases d’abattement chez FREUD, dans la rédaction de ce travail qui finalement ne sera ni achevé, ni publié de son vivant… Il est possible de considérer que l’abandon de ce projet par FREUD vient marquer la naissance de la psychanalyse en ce que sa théorie s’émancipe par là de la neurophysiologie et qu’elle se constitue en tant qu’un champ spécifiquement psychologique ; dans cette optique, l’impasse à laquelle FREUD se trouve confronté serait structurelle et elle aboutirait à une rupture épistémologique, fondatrice de la psychanalyse, l’opposition entre neurosciences et psychanalyse s’inscrivant alors manifestement dans un mouvement dialectique. Dans une autre optique, l’inachèvement du projet de FREUD serait davantage conjoncturel et lié à l’insuffisance des avancées scientifiques dans le domaine de la neurologie à la fin du XIXe siècle ; auquel cas, il mériterait d’être repris, au regard des progrès majeurs des neurosciences accomplis depuis et c’est la voie suivie par la neuropsychanalyse qui cherche à rapprocher, sinon réunifier, les deux domaines.
«… je suis loin de penser que le psychologique flotte dans les airs et n’a aucun fondements organiques. Néanmoins, tout en étant convaincu de l’existence de ces fondements, mais n’en sachant davantage, ni en théorie, ni en thérapeutique, je me vois contraint de me comporter comme si je n’avais affaire qu’à des facteurs psychologiques. Pourquoi tout cela ne s’accorde-t-il pas pour moi ? Je l’ignore encore», écrit FREUD dans sa lettre à FLIESS du 22/09/1898. Déjà, dans le traité sur les aphasies, il exprimait une opinion semblable : «Les processus physiologiques ne cessent pas lorsque les processus psychiques commencent. Au contraire, la chaîne physiologique continue, mais à partir d’un certain moment, il se produit un phénomène psychique correspondant à chacun des chaînons (ou à plusieurs). Ainsi le processus psychique est parallèle au processus physiologique».
Quelle que soit l’opinion que l’on se forge, méconnaître «L’esquisse» constituerait à notre sens une grossière erreur car, indépendamment de la volonté de FREUD de raccorder la clinique qu’il développe autour des psychonévroses de défense à des données neurophysiologiques, ce texte, comme nous allons tenter de le montrer, aborde des notions tout à fait essentielles à la compréhension de sa théorie de l’inconscient, lesquelles seront reprises de façon plus détaillée ultérieurement, tout au long de l’élaboration de théorie psychanalytique, et ce jusque dans ses aspects les plus métapsychologiques. On y retrouve également le souci qui ne fera que se confirmer par la suite de nouer la psychopathologie à la psychologie du sujet normal, avec le postulat implicite qu’il n’y a pas de différence de nature entre les phénomènes psychiques dans l’un et l’autre cas.
L’entreprise de FREUD d’asseoir sa théorie des névroses sur un soubassement neurophysiologique a pu sembler vaine et être par la suite complètement délaissée, abandonnée au profit d’autres voies, dans un registre exclusivement psychologique. Cependant, et à l’instar de ce que nous avons pu voir à propos du traité sur les aphasies, d’une part, les hypothèses avancées par FREUD sur le fonctionnement du système nerveux se sont révélées tout à fait pertinentes et sont largement corroborées par les données scientifiques actuelles, - il apparaît encore une fois comme véritablement visionnaire de ce point de vue - d’autre part, le modèle de l’appareil psychique qui se dégage de ces hypothèses peut être considéré comme une des premières pierres sur laquelle va pouvoir s’édifier l’ensemble de la théorie psychanalytique.

samedi 11 octobre 2008

Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images

Une citation de Jean COCTEAU et un autoportrait de Johannes GUMPP, peintre autrichien né en 1626, pour poursuivre notre propre réflexion avec une question essentielle qui se pose à tous, philosophes, spécialistes des neurosciences ou psychanalystes même si ce peut être en des termes sensiblement différents, à savoir l’origine du moi selon la terminologie freudienne ou de la conscience ou encore du cogito selon Descartes dont nous avons précédemment détourné la célèbre formule…
Lacan, dans son texte sur le stade du miroir souligne la prématurité de l’enfant à la naissance – «dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans» – et c’est un point tout à fait essentiel sur lequel il sera nécessaire de revenir.
Bien que cela constitue un exercice un peu difficile, on peut essayer de se représenter le vécu du nourrisson soumis à de multiples perceptions qui lui parviennent, du monde extérieur au travers de la vue, de l’audition, du toucher… et de l’intérieur du corps par la sensibilité intéroceptive et les sensations de plaisir et de déplaisir qui peuvent y être associées. Ces différentes perceptions restent à ce stade non intégrées et le vécu qui en résulte est marqué par le morcellement.
L’intégration de ces perceptions en un tout unifié, la différenciation entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur correspondent à des processus très complexes qui vont s’étaler sur les premiers mois ou années de la vie et dans lesquels la dimension imaginaire prend une part importante, permettant au nourrisson d’anticiper sur la conquête d’une unité de son schéma corporel par la vision de l’image de l’autre, la vision de sa propre image dans le miroir, et plus encore et de manière plus subtile la vision de soi qui peut être renvoyée par le regard de l’autre. Autrement dit, la première prise de conscience de l’unité corporelle est liée à une image extérieure à soi, celle de l’autre, du semblable ou encore, toujours en position d’extériorité, celle de soi reflétée dans le miroir.
Des exemples tirés de la psychopathologie permettent de souligner encore la prégnance de cette dimension imaginaire dans la constitution du moi.
L’observation de phénomènes d’échomimie, d’échopraxie, d’écholalie dans les troubles schizophréniques chez l’adulte est à mettre en lien avec le vécu de morcellement corporel et la dissolution de la conscience qui accompagnent ces pathologies ; ils peuvent être interprétés comme une ultime et pathétique tentative de préserver l’unité de soi et le lien avec le monde extérieur.
Chez l’enfant autiste, l’apparition du langage est couramment marquée par le phénomène d’écholalie et il est tout à fait illusoire d’espérer que l’usage de la parole pourrait d’emblée lui permettre une communication adaptée avec l’autre. Avant même l’accès au langage, il peut être également très intéressant de repérer chez lui des capacités d’imitation dans d’autres domaines ainsi que d’éventuelles réactions lorsque l’observateur qui est en face de lui se laisse aller à imiter son comportement…
Plusieurs remarques à ce sujet, en revenant une fois encore à la réalité quotidienne de nos prises en charge.
La première est que les soignants parfois se désolent de constater chez les enfants ces comportements d’imitation qui sont le plus souvent peu valorisés. Ils donnent lieu à un sentiment d’inauthenticité, on parle à leur propos d’un «faux self», d’un comportement plaqué, d’un enfant qui n’a pas de désir propre, mais qui se coule dans celui de ses parents ou de son entourage… Une vision trop péjorative de ces comportements me semble inadéquate ; il ne s’agit pas de s’en satisfaire, mais il faut sûrement les considérer comme une étape obligée, avant l’accession à une personnalité plus individualisée et autonome.
Une remarque semblable peut être faite à propos des enfants qui s’attribuent ce qu’ils ont perçu chez un autre enfant ou, inversement, qui attribuent à l’autre ce qui leur appartient en propre, dans une forme de transitivisme qu’il faut se garder d’interpréter trop rapidement comme une altération sévère du lien à la réalité et que l’on pourrait simplement considérer comme une sorte d’illusion d’optique.
La dernière remarque porte sur les effets négatifs qui peuvent découler des phénomènes d’imitation. Si jusqu’ici, il a été surtout mis en valeur leur implication essentielle dans le développement de l’enfant et l’établissement des liens sociaux, il ne faut pas occulter les difficultés qui peuvent en résulter. Prenons l’exemple d’un hôpital de jour et d’un enfant présentant des stéréotypies gestuelles… il arrive que des stéréotypies analogues puissent être constatées chez un autre enfant qui aura été au contact du premier et il n’est pas rare alors que les parents du second nous en fassent la remarque, plus ou moins teintée de reproches : «Je ne sais pas où il a pris ça…». Le même phénomène de résonance peut s’observer lorsqu’un des enfants présente un état d’agitation et de violence ; il faut reconnaître que cela peut aboutir parfois à des phénomènes de groupe difficilement gérables.
Il y a sûrement là un argument de poids en faveur d’une intégration en milieu ordinaire des enfants présentant des troubles sévères de la personnalité, lequel environnement est à même d’offrir des modèles plus adaptés qu’une institution spécialisée qui, par définition, regroupe des enfants en difficulté, sachant toutefois que cette intégration a ses limites et que le milieu ordinaire, même avec des aménagements, ne peut répondre à certaines situations. Il faut savoir se montrer pragmatique et pouvoir doser au mieux, en fonction de l’évolution de chaque enfant, prise en charge individuelle et prise en charge de groupe, fréquentation du milieu ordinaire et accueil au sein d’un milieu spécialisé… Nous n’approfondirons pas ce débat qui nous éloigne quelque peu de la question qui nous occupe, soit les rapports entre psychanalyse et neurosciences, mais il est intéressant de noter que des points d’ordre théorique et des données tirées d’expérimentations scientifiques peuvent aussi conduire à s’interroger de façon très concrète sur nos pratiques et sur des questions sociales éminemment actuelles, après la promulgation de la loi de février 2005 en faveur des handicapés.

dimanche 5 octobre 2008

J’imite, donc je suis

Encore quelques mots à propos des neurones miroirs, des phénomènes d’imitation et de leur rôle dans le développement cognitif et affectif de l’enfant. Ce rôle concerne les apprentissages, mais aussi l’empathie et l’établissement de la communication et des interactions sociales… Une défaillance à ce niveau s’observe chez les enfants présentant des troubles autistiques de sorte qu'un rapprochement peut être fait avec ce qui a été décrit sous le terme de défaut de «théorie de l’esprit» par les psychologues cognitivistes. Mais d’autres rapprochements peuvent aussi s’envisager avec certains concepts de la théorie psychanalytique.
L’intrication entre le phénomène des neurones miroirs et l’apprentissage peut être établie par certaines expériences : ainsi l’activation des neurones miroirs pour un geste comportant une certaine technicité comme jouer d’un instrument de musique ou exécuter un pas de danse sera d’autant plus importante que l’observateur possède une expérience dans le domaine considéré. Il apparaît également hautement probable que l’activité des neurones miroirs, couplée aux circuits neuroniques intervenant dans la mémoire participe à l’intégration de certains apprentissages : l’expérience la plus commune semble en effet attester qu’une tâche sera d’autant plus facilement assimilée qu’une démonstration aura pu en être faite.
D’autres expérimentations autour des neurones miroirs montrent que leur activation ne correspond pas à un simple reflet d’un geste effectué, mais qu’elle correspond véritablement à une représentation qui se construit de l’intentionnalité attachée à ce geste. Ainsi cette activation pourra s’observer alors même qu’une partie de l'action se trouve masquée par un écran. Si un stimulus auditif est associé à un geste donné, sur le modèle du réflexe pavlovien, ce seul stimulus suffira à activer les neurones miroirs. Pour des gestes analogues, mais pouvant correspondre à des actions différentes, la prise en compte du contexte dans lequel survient ce geste peut moduler la réponse des neurones miroirs, comme si une interprétation du sens du geste perçu pouvait être donnée, en fonction de ce contexte.
Il découle de ces différentes expériences brièvement évoquées que les neurones miroirs interviennent dans l’empathie, soit la capacité de ressentir ce que l’autre ressent, et qu’ils participent ainsi à l’établissement de la communication et des interactions sociales entre individus. Des expériences analogues réalisées chez l’enfant autiste dont on connaît les difficultés au plan du langage et de la communication au sens large montrent le défaut d’activation des neurones miroirs dans des situations où ils s’activeraient chez un enfant normal.
Née de travaux d’éthologie sur les chimpanzés, la théorie de l’esprit fut ensuite appliquée à la cognition humaine, notamment avec les travaux de Simon Baron-Cohen, Alan M Leslie et Uta Frith. Pour le résumer simplement, sous ce terme se trouve désignée la capacité pour un sujet de se mettre à la place de l’autre, d’adopter son point de vue en se dégageant du sien propre ; défaillante chez l’autiste, celui-ci se trouve dans l’incapacité de prévoir et de comprendre les réactions d’autrui. Il est très tentant de rapprocher ce défaut de «théorie de l’esprit» de l’absence d’activation des neurones miroirs chez l’autiste.
Quoique sûrement plus hasardeux, des rapprochements peuvent également être tentés avec certains aspects de la théorie psychanalytique et en particulier la place que peut prendre l’identification en tant que processus constitutif de la psyché, forme la plus originaire du lien affectif à l’objet*. Il s’agit en l’occurrence d’une identification sur un mode imaginaire, telle que peut la définir Lacan, sous la dépendance de l’image de l’autre… Sur ce chapitre, la référence au stade du miroir s’impose et, à titre de clin d’œil, la photo ci-dessus montre indubitablement qu’il n’est pas l’apanage du jeune enfant… l’échange de regard au travers du miroir est frappante, tout autant que l’ «assomption jubilatoire», pour reprendre l’expression consacrée…**
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* «Premièrement, l’identification est la forme la plus originaire du lien à l’objet ; deuxièmement, par voie régressive, elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi ; et troisièmement elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles».
Psychologie des masses et analyse du moi - Sigmund FREUD
** «Il y suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification au sens plein que l'analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, - dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l'usage, dans la théorie, du terme antique d'imago.
L'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet».
Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je - Ecrits - Jacques LACAN

samedi 27 septembre 2008

Tambou-la ka sone

S’il est bien sûr intéressant de revenir sur les textes fondateurs de la psychanalyse, de se pencher sur les découvertes récentes issues des expériences les plus sophistiquées dans le domaine des neurosciences et de confronter différents types d’approche théorique, il reste indispensable de ne pas s’éloigner de la clinique et de pouvoir aussi se référer à la pratique quotidienne des soignants. J’ai personnellement eu la chance de travailler pendant plusieurs années dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Saint-Claude, en Guadeloupe, un service qui accueille des enfants autistes dont certains présentent également une déficience intellectuelle marquée.
Je garde le souvenir d’une sortie à la journée avec des enfants plus ou moins lourdement handicapés dans l’île de Terre de Bas de l’archipel des Saintes. Beaucoup moins touristique que l’île de Terre de Haut du même archipel, elle n’en présente pas moins un certain charme. Après une courte traversée en bateau depuis le bourg de Trois-Rivières, les soignants et éducateurs qui accompagnent les enfants préparent un pique-nique au bord de l’eau comme on sait si bien le faire aux Antilles. Conformément à la tradition, les tambours que l’on nomme gwo ka ne tardent pas à résonner une fois le repas terminé (Tambou-la ka sone en créole).
Un groupe d’enfants et d’adultes se constitue autour d’un joueur de tambour et débute alors une scène des plus intéressante : le joueur de gwo ka invite tour à tour chaque enfant à s’installer face à lui, le tambour dressé entre eux deux ; le groupe les entoure. Il joue alors un motif rythmique simple au départ, puis un peu plus complexe, en fonction des réponses de l’enfant. D’un geste de la main qu’il dirige vers l’enfant, paume vers le haut, il l’incite à reproduire le motif rythmique qu’il vient de jouer. L’enfant s’y essaye, en rejouant plus ou moins fidèlement le rythme qui lui a été proposé. Le joueur de tambour fait alors un nouveau geste : il passe sa main sur toute la surface du tambour, comme s’il effaçait un tableau sur lequel on aurait écrit et il réinitialise ainsi une nouvelle séquence du dialogue qu’il a engagé avec l’enfant au travers de l’instrument de percussion. Si la reproduction par l’enfant du rythme proposé a été suffisamment fidèle, un nouveau rythme est présenté ; dans le cas contraire c’est le même motif qui est repris. La charge émotionnelle de la scène est d’autant plus forte qu’elle se déroule sans la moindre parole.
Cette courte séance de musicothérapie complètement improvisée est à mon sens très instructive. Elle montre en premier lieu le ressort essentiel que peut constituer l’imitation dans les prises en charge proposées aux enfants. Celles de type «éducation structurée», inspirées par exemple de la méthode TEACCH* s’appuient de façon explicite sur l’imitation pour des apprentissages des enfants autistes en proposant un travail en face à face, étape première avant un travail en autonomie, une fois que la tâche demandée aura été assimilée par l’enfant.
Mais l’exemple autour du gwo ka montre bien que l’intérêt de l’imitation ne se limite pas à des apprentissages simples, dans un registre purement cognitif, tels que la réalisation d’un encastrement, le tri de pièces en fonction de la couleur, de la forme ou de la taille… Il concerne également des activités d’expression et il est facile d’imaginer que ce qui a été présenté dans une forme très épurée au travers de notre exemple puisse être aisément transposé dans un atelier de type expression théâtrale ou arts plastiques, dans une activité sportive… En outre, il en ressort de façon claire que l’essentiel ne réside pas dans la tâche d’apprentissage d’un rythme de percussion, mais bien dans la relation, le dialogue, que le tambour va permettre entre l’enfant et l’adulte… Autour de cet échange, c’est un groupe qui se trouve réuni : chaque enfant respecte un certain nombre de règles comme le tour de rôle pour jouer du tambour ; il se trouve successivement en position de spectateur et d’acteur tout en partageant un même contenu culturel ici fortement lié à l’identité antillaise. La dimension de plaisir rattachée à l’expérience n’est bien sûr pas à négliger, en lien avec les différentes modalités sensorielles sollicitées par les sons, les vibrations…
Voilà qui donne une certaine épaisseur à tout ce qui se joue alors autour du gwo ka
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* Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren

lundi 22 septembre 2008

Les bonnes manières

L’existence des neurones miroirs a été démontrée chez l’enfant, ce qui laisse entrevoir le rôle très important que peut jouer l’imitation dans son développement psychoaffectif et cognitif. Au fil des ans, des compétences toujours plus grandes sont reconnues chez le bébé. Ainsi, la capacité d’imiter se manifeste chez le nouveau-né, dès les tous premiers jours de sa vie. Une expérience très aisément reproductible permet de s’en convaincre. Pour cela, il faut disposer d’un nouveau-né ; personnellement, un enregistrement vidéo de cette expérience m’avait été présenté lors d’une formation sur l’autisme, dans le service du Pr. AUSSILLOUX, à Montpellier, il y a un peu plus de 10 ans de cela, à une période où j’étais sur le point d’être père pour la troisième fois. J’ai donc pu facilement essayer et cela marche…
Il est toutefois nécessaire de respecter un minimum de conditions. La première de ces conditions est de bien choisir son moment : le bébé doit être dans un état de vigilance et de réceptivité adéquat, ce qui ne correspond qu’à des temps très limités dans la journée : il ne doit ni dormir, ni pleurer parce qu’il est tenaillé par la faim… Il faut donc profiter d’un moment où il est calme, les yeux ouverts… La deuxième des conditions et de positionner son visage à bonne distance du sien, à environ 30 ou 40 cm, le bébé n’étant pas en mesure d’accommoder, ses perceptions visuelles resteraient floues si on se place ou trop près, ou trop loin. Moyennant ces précautions prises, il faut soit ouvrir grand sa bouche, soit tirer sa langue… et on observe alors un brin émerveillé que le bébé imite le mouvement qui vient d’être fait. Etonnant, non ? Comme quoi il n’est jamais trop tôt pour apprendre les bonnes manières !
Au cours de cette formation, une autre expérience portant sur les interactions mère-enfant nous avait été présentée, un peu plus complexe et avec un bébé un peu plus grand, âgé de quelques mois. Le dispositif expérimental est le suivant. Le bébé est installé dans un siège et il est séparé de sa mère. Un système vidéo a été mis en place : la mère et le bébé sont tous deux en face d’un écran et d’une caméra de telle façon que la mère peut voir l’image de son enfant et inversement… c’est en quelque sorte une visioconférence mère-enfant qui est organisée.
Premier temps de l’expérience, au moment de la séparation, l’enfant réagit en pleurant… lorsqu’il peut voir sa mère à travers l’écran, il peut rétablir un lien avec elle et il parvient ainsi à s’apaiser peu à peu.
Dans un second temps, l’expérience est renouvelée, mais en introduisant un biais. L’image qui est projetée à l’enfant est toujours celle de sa mère, mais il s’agit d’une image non plus en direct comme précédemment, mais en différé… dans ces conditions, l’enfant ne parvient pas à retrouver son calme et au contraire il est en proie à une tension émotionnelle qui va croissante.
La preuve est ainsi faite que ce n’est pas la simple contemplation passive du visage de la mère qui a une valeur apaisante pour l’enfant, mais que ce sont les interactions complexes qui peuvent se nouer avec elle qui permettent cet apaisement. Un empêchement artificiellement créé au niveau de ces interactions s’accompagne d’une perturbation émotionnelle manifeste chez l’enfant.
Une troisième et dernière expérience avec des enfants encore un peu plus âgés, capables de se mouvoir de façon autonome nous fait aborder le champ de l’autisme. Elle est connue sous le nom anglais de «still face» : elle consiste à laisser évoluer un jeune enfant dans une pièce où un adulte est présent, mais qui a ceci de particulier qu’il reste parfaitement immobile, le visage impassible… L’expérience tentée avec un jeune enfant montre que celui-ci va solliciter l’adulte par tous les moyens possibles et qu’il va être très angoissé de ne pouvoir obtenir la moindre réaction de sa part… La même expérience faite avec un enfant autiste montre que celui-ci n’est absolument pas gêné par cette présence insolite et qu’il va continuer à évoluer comme il en a l’habitude. Pour l’enfant autiste, il ne semble pas exister de différence entre les êtres humains et les objets ; il ne leur accorde pas davantage d’intérêt, il n’existe pas de différence dans les modalités d’interaction qu'il peut établir avec les premiers et les seconds.
L’imitation nous a conduit à aborder au travers de quelques exemples la question passionnante des interactions précoces. Cette question intéresse actuellement de nombreuses disciplines qui peuvent chacune apporter un éclairage particulier avec les modes d’approche spécifiques qui sont les siens. Ces études, qu’elles émanent du domaine de la neuropsychologie, de l’éthologie humaine ou de la psychanalyse aident à mieux comprendre le développement de l’enfant, normal ou pathologique comme dans l’autisme et les troubles apparentés. Il me semble que l’on peut reconnaître à FREUD et à ses élèves le mérite d’avoir su porter un regard attentif sur l’enfant, sur les étapes initiales de son développement et sur ses premières relations à l’autre, dont l’importance dans la constitution de sa personnalité future d’adulte, si elle est une évidence de nos jours, ne l’était sûrement pas à l’époque de la découverte de la psychanalyse.

mardi 16 septembre 2008

Le langage dans son plus simple appareil

L’intérêt de la «Contribution à la conception des aphasies» ne s’épuise pas dans le rapprochement fait entre une conception de l’appareil du langage datant de la fin du XIXe siècle et les découvertes actuelles sur les neurones miroirs. Il réside également dans les prolongements que les thèses qui y sont exposées ont pu avoir dans le développement ultérieur de la théorie psychanalytique.
«Appareil du langage» est une expression qui revient souvent dans le texte de FREUD et elle ne peut manquer d’évoquer celle d’ «appareil psychique» que l’on retrouve ensuite tout au long de son œuvre, par exemple dans l’ «Esquisse d’une psychologie scientifique» ou encore dans le chapitre 7 de «L’interprétation des rêves» et jusque dans ses tous derniers écrits tels que «L’abrégé de psychanalyse». Elle est étroitement liée au point de vue topique de la métapsychologie freudienne.
La découverte du neurone en tant qu’unité fonctionnelle du système nerveux est contemporaine des premiers écrits de FREUD, lequel s’empare de ces données récentes de la neurologie ; s’appuyant dessus, il propose ce schéma qui concerne le langage aussi bien sur son versant réceptif que sur son versant expressif et dans ses modalités verbale et écrite – il ne faut donc pas s’étonner d’y voir figurer le bras qui participe à l’écriture. Il est également précisé que ce schéma ne correspond pas à des localisations anatomiques précises, mais qu’il vient figurer une organisation fonctionnelle. L’expression clinique des troubles du langage varie selon que la lésion cérébrale touche telle ou telle interconnexion, telle aire associative…

Dans les développements qui suivent, je précise qu’il n’est nullement dans mes intentions de réveiller les vieilles querelles qui divisent de longue date les psychanalystes en différentes écoles. De mon point de vue, ces derniers ont actuellement suffisamment à faire pour répondre à leurs détracteurs extérieurs à la discipline sans qu’ils ne s’épuisent dans des querelles internes.
Ceci dit, quel que soit l’intérêt porté aux thèses lacaniennes, avec en particulier la célèbre formule d’un inconscient «structuré comme un langage», et quel que soit le degré d’adhésion qu’on leur accorde, il est assez évident que la lecture de l’œuvre freudienne renvoie de façon récurrente à la question du langage. On peut citer à titre d’exemple «La psychopathologie de la vie quotidienne» avec son étude sur l’oubli de nom, les lapsus… et «Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient», les traits d’humour reposant fréquemment sur des jeux de mots, sur l’équivoque née du double sens qu'ils recèlent…
En quoi la question du langage est-elle cruciale pour la psychanalyse ? En premier lieu, tout simplement parce que le principe essentiel de la cure repose sur l’écoute de la parole du patient… il s’agit d’une «talking cure» pour reprendre les termes d’une des premières patientes de FREUD. L’importance du traité sur les aphasies n’en ressort que davantage. Il est à retenir le rapport qui y est posé entre représentation de mots (l’image acoustique) et représentation de choses (le concept), des notions qui seront plusieurs fois reprises par FREUD et qui peuvent également être associées aux conceptions lacaniennes du signifiant et du signifié.

mercredi 10 septembre 2008

Miroir, mon beau miroir...

Le domaine des neurosciences est très vaste et le choix d’un thème particulier pour l’aborder n’avait rien d’évident. La lecture de Freud dans son traité sur les aphasies nous ayant d’emblée orienté vers la question des «Neurones miroirs» laissons-nous entraîner dans cette voie, d’autant qu’il s’agit d’une découverte relativement récente et a priori extrêmement féconde si nous considérons les implications qu’elle peut avoir dans la compréhension du développement de l’enfant, des processus mis en jeu dans la communication et les interactions sociales, ainsi que des troubles qui peuvent s’observer à ce niveau.
La parution du livre de référence en la matière, «Les neurones miroirs», date de janvier 2008 ; il est co-signé par Giacomo RIZZOLATTI et Corrado SINIGAGLIA, le premier professeur de physiologie humaine et directeur du département de neurosciences de l’Université de Parme, le second professeur de philosophie des sciences à l’Université de Milan ; y sont présentées les récentes découvertes qui ont été faites à partir du milieu des années 1990, dans un premier temps chez des macaques, puis chez l’homme.
Dans les expériences initiales, il a été montré que certains neurones du cortex prémoteur des singes émettent des potentiels d’action non seulement lorsqu’ils exécutent un mouvement, mais également quand ils observent un de leurs congénères ou l’expérimentateur faire ce même geste. L’action de l’autre semble reflétée dans le cerveau de l’observateur, d’où la dénomination de «neurones miroirs».
Proche de ce phénomène, il est décrit des «neurones canoniques» qui s’activent à la simple vue d’un objet susceptible d’être saisi par la main, comme si le cerveau anticipait une interaction possible avec l’objet, que le geste de préhension soit ou non exécuté par la suite.
Des neurones miroirs en tout point comparables ont pu être mis en évidence chez l’homme grâce aux techniques de tomographie par émission de positrons (TEP) et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Curieusement, l’aire prémotrice chez l’homme où s’observent ces neurones miroirs correspond à l’aire de Broca, qui est aussi l’aire du langage ; il en existe également une au niveau du cortex pariétal. L’activité de certains de ces neurones peut s’intégrer dans des processus plus complexes que ceux décrits chez les macaques et être liée à la perception d’une émotion sur le visage d’autrui, une expression de dégoût ou de douleur par exemple, comme cela pourrait s’observer si le sujet ressentait lui-même ces émotions.
Ces phénomènes viennent remettre en cause les schémas classiques du fonctionnement cérébral qui dissocient la perception et la motricité, avec intercalée une étape intermédiaire, cognitive, qui permettrait après analyse des données perceptives d’ajuster au mieux l’action de l’individu. Le phénomène des neurones miroirs montre qu’au contraire, la fonction motrice est intimement liée à la perception et qu’elle participe d’emblée à une appréhension de l’environnement du sujet. Plus encore, au travers du mouvement ainsi perçu chez un autre et ressenti de l’intérieur, ce sont ses actions et ses intentions qui peuvent être anticipées. La réciproque étant vraie, le phénomène des neurones miroirs semble jouer un rôle fondamental au niveau de l’ajustement indispensable dans la communication entre deux individus, chacun ayant en lui une représentation instantanément actualisée de l’état mental de l’autre, représentation qui lui permet d’anticiper ses actions, de deviner ses intentions, son état émotionnel et de réagir en conséquence…
Des caractéristiques neuroanatomiques telles que la correspondance entre l’aire prémotrice où s’observent les neurones miroirs et l’aire du langage laissent supposer que ces derniers ont pu jouer un rôle important au cours de l’évolution, la communication par le langage des êtres humains ayant pu se constituer sur le socle d’une communication par gestes… ce qui explique peut-être que nos paroles s’accompagnent encore, et le plus souvent à notre insu, d’une gestuelle qui en dit sûrement plus long que ce que nous imaginons.
Signalons enfin que l’existence de neurones miroirs qui s’activent à l’audition de la parole a été expérimentalement démontrée, confirmant l’intuition freudienne telle qu’elle avait été exposée dans le traité sur les aphasies, plus d’un siècle en arrière…

lundi 1 septembre 2008

Freud et les Troubles Sévères du Langage

Le parcours que je vous propose, entre psychanalyse et neurosciences, est loin d'être complètement balisé d'avance. La feuille de route n'est pas tracée dès le départ et toute suggestion pour une étape, un itinéraire particulier est la bienvenue.
J'ai souhaité débuter ce cheminement par un texte de Freud, «Contribution à la conception des aphasies», lequel ne constitue pas une de ses œuvres majeures, mais qui a la particularité de se situer dans une période dite pré analytique et qui introduit assez bien la problématique que je désire vous soumettre. Comme il est écrit en quatrième de couverture : «Des notions aussi centrales que appareil psychique et représentation de mots trouvent dès lors un éclairage nouveau à la lecture de cette étude qui, loin de confirmer la séparation, réclamée par Freud lui-même, entre des discours neuro-anatomique ou neurophysiologique et une théorie psychanalytique, relance la question de leurs rapports intriqués».
Je dois avouer que le choix de ce texte portant sur les aphasies m'a paru d'autant plus intéressant que, sur le terrain concret de notre pratique, des oppositions très sensibles se manifestent à ce jour autour des troubles des apprentissages, des «Troubles sévères du langage», pour reprendre une terminologie très actuelle, des syndromes en "Dys", au premier rang desquels nous retrouvons les dysphasies, mais aussi les dyslexies, les dyspraxies… autant de notions qui ont souvent le don d'irriter les tenants d'une approche psychodynamique.
Assurément, nous avons affaire dans ce travail à un Freud neurologue, d’avant l’avènement de la psychanalyse. La clinique qu’il développe se fonde sur des lésions cérébrales avérées, dont la nature exacte n’est le plus souvent révélée qu’à l’autopsie. De nos jours, grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, il est heureusement permis de connaître la localisation précise et l’étendue des lésions, sans attendre le décès du patient. Freud engage un dialogue avec les neurologues parmi les plus réputés de son époque parmi lesquels on retiendra facilement Broca et Wernicke qui ont donné leur nom à des aires cérébrales dévolues au langage ainsi qu’à deux types très différenciés d’aphasie.

Il n’est pas utile de s’attarder sur l’objet de la discussion de Freud qui est quelque peu daté ; à une vision statique et morphologique qui rattache une fonction à une zone précise du cerveau, il oppose une vision dynamique qui souligne l’importance des connexions entre les différentes aires cérébrales. Il défend finalement une conception très actuelle de la neurophysiologie et, si on entre dans le détail du texte, on peut même trouver des idées d’une grande modernité.
Je tenterai d’en donner un exemple dans ce court extrait, malgré peut-être un abord rendu difficile par le fait qu’il se trouve sorti de son contexte :
«Sans doute ne devons-nous pas concevoir la compréhension des mots en cas d’incitation périphérique comme simple transmission des éléments acoustiques aux éléments d’associations d’objet. Il semble plutôt qu’au cours de l’écoute compréhensive, l’activité associative verbale soit incitée en même temps, de sorte que nous répétons, en quelques sorte, intérieurement ce que nous avons entendu et que nous étayons alors simultanément notre compréhension sur nos impressions d’innervation du langage. Un degré plus élevé d’attention lors de l’écoute s’accompagnera d’un transfert plus important de ce qui a été entendu sur le faisceau moteur du langage. On peut imaginer que l’écholalie se produit lorsque la conduction de l’association vers les associations d’objets rencontre un obstacle. Alors toute l’incitation s’extériorise dans une répétition plus forte, à haute voix».
Si je comprends bien ce que dit Freud dans ce court passage, lorsque nous écoutons des mots, nous ne nous contentons pas d’associer la perception auditive à des représentations mentales des objets correspondant à ces mots, mais nous activons les zones motrices qui permettraient de prononcer ces mots, laquelle activation participe à la compréhension de ce qui est entendu. Freud ajoute que, si un obstacle est rencontré dans ce processus de compréhension, le renfoncement de l’activation des zones motrices peut aller jusqu’à une répétition à haute voix des mots entendus, ce qui caractérise le phénomène d’écholalie.
Pour ma part, je trouve difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qu’avance Freud dans ces quelques lignes et les découvertes récentes sur les «neurones miroirs». Par ailleurs, l’hypothèse faite sur le mécanisme de l’écholalie reste encore très séduisante.
Le caractère visionnaire de Freud pourrait être attesté par d’autres exemples, mais là ne réside pas le seul intérêt de sa «Contribution à la conception des aphasies». Bien que relevant pleinement du champ de la neurologie et malgré la volonté de Freud de ne pas inclure ce texte dans le corpus de la psychanalyse, il est bien évidemment assez tentant de le considérer à la lumière des développements ultérieurs de la théorie freudienne, d’y reconnaître en germe ce qui constituera des concepts importants de la théorie analytique et de dégager une sorte de fil conducteur entre une approche neuropsychologique initiale et l’approche psychanalytique ultérieure...

mardi 26 août 2008

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les neurosciences sans jamais oser le demander

Le titre est un peu racoleur, je le concède, et mon propos a une ambition bien plus limitée. Ce détour par les développements actuels autour des neurosciences me paraît toutefois des plus utile. Trop souvent, tout ce qui se rapporte aux neurosciences, à la neuropsychologie, aux approches cognitives ne suscite que des réactions négatives si ce n’est franchement hostiles de la part de ceux qui se réclament d’un point de vue psychodynamique, en référence à la psychanalyse freudienne. Il est vrai que l’extension de ces nouvelles branches de la psychologie vient d’une certaine manière faire ombrage aux pratiques se réclamant de la théorie psychanalytique et qu’elle peut dans certains cas alimenter des violentes critiques contre elles (cf. «Le livre noir de la psychanalyse»). Mais il serait dommage de ne voir dans les neurosciences qu’une théorie concurrente de la psychanalyse, de considérer qu’il y aurait une opposition irréductible entre les deux, qu’il y aurait les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Il me semble bien préférable de sortir d’une telle vision manichéenne, de dépasser les clivages profondément ancrés dans les esprits entre ce qui relève du psychisme et ce qui relève du somatique en tentant d’examiner le plus sereinement possible tous les questionnements qui peuvent surgir de la confrontation des deux types d’approche.
Plusieurs points me paraissent importants à souligner, en préambule.
En premier lieu, il faut se souvenir que Freud, avant de découvrir la psychanalyse, a une formation de neurologue et que certains de ces travaux portent la marque de cette formation initiale. A bien des égards, certaines des hypothèses qu’il a pu formuler concernant le fonctionnement de l’appareil psychique constituent des préfigurations tout à fait remarquables de ce que la neurologie aujourd’hui munie de moyens d’investigation inimaginables un siècle en arrière est en mesure d’affirmer concernant le fonctionnement cérébral. Personnellement, je suppose que, s’il pouvait revenir en ce début du XXIe siècle, Freud ne serait sûrement pas indifférent aux développements dans le domaine des neurosciences. Il avait d’ailleurs tout à fait envisagé que des réponses scientifiques puissent être apportées sur le fondement somatique de ce qu’il décrivait au plan psychologique, sans considérer pour autant que cela ne vienne remettre en cause l’édifice théorique qu’il était en train d’élaborer. Il est difficile de nier que la théorie psychanalytique, même si elle s’est détachée de la neurologie en constituant un champ qui lui est propre, garde en elle la trace de ses origines et il est tout aussi difficile de soutenir qu’elle ne puisse être nullement concernée par les avancées d’un domaine auquel elle a été consubstantiellement liée.
Le second point de ce préambule concerne précisément ces travaux actuels dans le domaine des neurosciences : dès que l’on s’intéresse quelque peu à ce sujet, on découvre la richesse tant des publications scientifiques que des ouvrages de vulgarisation sur ces questions… C’est à ces derniers que l’on peut faire aisément référence et la seule lecture des auteurs les plus connus permet de se départir des visions trop caricaturales que l’on pouvait s’être forgé concernant ces disciplines.
Il est aisé de constater que les acquis actuels en neuropsychologie ne conduisent nullement à une vue étroitement réductrice du fonctionnement mental et qu’ils vont même à l’encontre d’un déterminisme biologique strict en laissant une grande place à l’aspect émotionnel, affectif, relationnel, environnemental, social, culturel… La surprise peut venir encore du constat que les scientifiques en ce domaine n’hésitent pas à engager le dialogue avec les philosophes sur les grandes questions touchant à l’être humain et qu’au détour d’un paragraphe ils vont jusqu’à s’interroger sur des questions d’ordre éthique, des préoccupations chères aux psy. dont ils n’ont cependant pas le monopole.
Sans se cacher la difficulté de la tâche liée à la fois à la complexité des rapports entre psychanalyse et neurosciences et au caractère très polémique que cette question peut prendre, je vous propose un parcours entre ces deux domaines au travers de différentes lectures…