samedi 27 septembre 2008

Tambou-la ka sone

S’il est bien sûr intéressant de revenir sur les textes fondateurs de la psychanalyse, de se pencher sur les découvertes récentes issues des expériences les plus sophistiquées dans le domaine des neurosciences et de confronter différents types d’approche théorique, il reste indispensable de ne pas s’éloigner de la clinique et de pouvoir aussi se référer à la pratique quotidienne des soignants. J’ai personnellement eu la chance de travailler pendant plusieurs années dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Saint-Claude, en Guadeloupe, un service qui accueille des enfants autistes dont certains présentent également une déficience intellectuelle marquée.
Je garde le souvenir d’une sortie à la journée avec des enfants plus ou moins lourdement handicapés dans l’île de Terre de Bas de l’archipel des Saintes. Beaucoup moins touristique que l’île de Terre de Haut du même archipel, elle n’en présente pas moins un certain charme. Après une courte traversée en bateau depuis le bourg de Trois-Rivières, les soignants et éducateurs qui accompagnent les enfants préparent un pique-nique au bord de l’eau comme on sait si bien le faire aux Antilles. Conformément à la tradition, les tambours que l’on nomme gwo ka ne tardent pas à résonner une fois le repas terminé (Tambou-la ka sone en créole).
Un groupe d’enfants et d’adultes se constitue autour d’un joueur de tambour et débute alors une scène des plus intéressante : le joueur de gwo ka invite tour à tour chaque enfant à s’installer face à lui, le tambour dressé entre eux deux ; le groupe les entoure. Il joue alors un motif rythmique simple au départ, puis un peu plus complexe, en fonction des réponses de l’enfant. D’un geste de la main qu’il dirige vers l’enfant, paume vers le haut, il l’incite à reproduire le motif rythmique qu’il vient de jouer. L’enfant s’y essaye, en rejouant plus ou moins fidèlement le rythme qui lui a été proposé. Le joueur de tambour fait alors un nouveau geste : il passe sa main sur toute la surface du tambour, comme s’il effaçait un tableau sur lequel on aurait écrit et il réinitialise ainsi une nouvelle séquence du dialogue qu’il a engagé avec l’enfant au travers de l’instrument de percussion. Si la reproduction par l’enfant du rythme proposé a été suffisamment fidèle, un nouveau rythme est présenté ; dans le cas contraire c’est le même motif qui est repris. La charge émotionnelle de la scène est d’autant plus forte qu’elle se déroule sans la moindre parole.
Cette courte séance de musicothérapie complètement improvisée est à mon sens très instructive. Elle montre en premier lieu le ressort essentiel que peut constituer l’imitation dans les prises en charge proposées aux enfants. Celles de type «éducation structurée», inspirées par exemple de la méthode TEACCH* s’appuient de façon explicite sur l’imitation pour des apprentissages des enfants autistes en proposant un travail en face à face, étape première avant un travail en autonomie, une fois que la tâche demandée aura été assimilée par l’enfant.
Mais l’exemple autour du gwo ka montre bien que l’intérêt de l’imitation ne se limite pas à des apprentissages simples, dans un registre purement cognitif, tels que la réalisation d’un encastrement, le tri de pièces en fonction de la couleur, de la forme ou de la taille… Il concerne également des activités d’expression et il est facile d’imaginer que ce qui a été présenté dans une forme très épurée au travers de notre exemple puisse être aisément transposé dans un atelier de type expression théâtrale ou arts plastiques, dans une activité sportive… En outre, il en ressort de façon claire que l’essentiel ne réside pas dans la tâche d’apprentissage d’un rythme de percussion, mais bien dans la relation, le dialogue, que le tambour va permettre entre l’enfant et l’adulte… Autour de cet échange, c’est un groupe qui se trouve réuni : chaque enfant respecte un certain nombre de règles comme le tour de rôle pour jouer du tambour ; il se trouve successivement en position de spectateur et d’acteur tout en partageant un même contenu culturel ici fortement lié à l’identité antillaise. La dimension de plaisir rattachée à l’expérience n’est bien sûr pas à négliger, en lien avec les différentes modalités sensorielles sollicitées par les sons, les vibrations…
Voilà qui donne une certaine épaisseur à tout ce qui se joue alors autour du gwo ka
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* Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren

lundi 22 septembre 2008

Les bonnes manières

L’existence des neurones miroirs a été démontrée chez l’enfant, ce qui laisse entrevoir le rôle très important que peut jouer l’imitation dans son développement psychoaffectif et cognitif. Au fil des ans, des compétences toujours plus grandes sont reconnues chez le bébé. Ainsi, la capacité d’imiter se manifeste chez le nouveau-né, dès les tous premiers jours de sa vie. Une expérience très aisément reproductible permet de s’en convaincre. Pour cela, il faut disposer d’un nouveau-né ; personnellement, un enregistrement vidéo de cette expérience m’avait été présenté lors d’une formation sur l’autisme, dans le service du Pr. AUSSILLOUX, à Montpellier, il y a un peu plus de 10 ans de cela, à une période où j’étais sur le point d’être père pour la troisième fois. J’ai donc pu facilement essayer et cela marche…
Il est toutefois nécessaire de respecter un minimum de conditions. La première de ces conditions est de bien choisir son moment : le bébé doit être dans un état de vigilance et de réceptivité adéquat, ce qui ne correspond qu’à des temps très limités dans la journée : il ne doit ni dormir, ni pleurer parce qu’il est tenaillé par la faim… Il faut donc profiter d’un moment où il est calme, les yeux ouverts… La deuxième des conditions et de positionner son visage à bonne distance du sien, à environ 30 ou 40 cm, le bébé n’étant pas en mesure d’accommoder, ses perceptions visuelles resteraient floues si on se place ou trop près, ou trop loin. Moyennant ces précautions prises, il faut soit ouvrir grand sa bouche, soit tirer sa langue… et on observe alors un brin émerveillé que le bébé imite le mouvement qui vient d’être fait. Etonnant, non ? Comme quoi il n’est jamais trop tôt pour apprendre les bonnes manières !
Au cours de cette formation, une autre expérience portant sur les interactions mère-enfant nous avait été présentée, un peu plus complexe et avec un bébé un peu plus grand, âgé de quelques mois. Le dispositif expérimental est le suivant. Le bébé est installé dans un siège et il est séparé de sa mère. Un système vidéo a été mis en place : la mère et le bébé sont tous deux en face d’un écran et d’une caméra de telle façon que la mère peut voir l’image de son enfant et inversement… c’est en quelque sorte une visioconférence mère-enfant qui est organisée.
Premier temps de l’expérience, au moment de la séparation, l’enfant réagit en pleurant… lorsqu’il peut voir sa mère à travers l’écran, il peut rétablir un lien avec elle et il parvient ainsi à s’apaiser peu à peu.
Dans un second temps, l’expérience est renouvelée, mais en introduisant un biais. L’image qui est projetée à l’enfant est toujours celle de sa mère, mais il s’agit d’une image non plus en direct comme précédemment, mais en différé… dans ces conditions, l’enfant ne parvient pas à retrouver son calme et au contraire il est en proie à une tension émotionnelle qui va croissante.
La preuve est ainsi faite que ce n’est pas la simple contemplation passive du visage de la mère qui a une valeur apaisante pour l’enfant, mais que ce sont les interactions complexes qui peuvent se nouer avec elle qui permettent cet apaisement. Un empêchement artificiellement créé au niveau de ces interactions s’accompagne d’une perturbation émotionnelle manifeste chez l’enfant.
Une troisième et dernière expérience avec des enfants encore un peu plus âgés, capables de se mouvoir de façon autonome nous fait aborder le champ de l’autisme. Elle est connue sous le nom anglais de «still face» : elle consiste à laisser évoluer un jeune enfant dans une pièce où un adulte est présent, mais qui a ceci de particulier qu’il reste parfaitement immobile, le visage impassible… L’expérience tentée avec un jeune enfant montre que celui-ci va solliciter l’adulte par tous les moyens possibles et qu’il va être très angoissé de ne pouvoir obtenir la moindre réaction de sa part… La même expérience faite avec un enfant autiste montre que celui-ci n’est absolument pas gêné par cette présence insolite et qu’il va continuer à évoluer comme il en a l’habitude. Pour l’enfant autiste, il ne semble pas exister de différence entre les êtres humains et les objets ; il ne leur accorde pas davantage d’intérêt, il n’existe pas de différence dans les modalités d’interaction qu'il peut établir avec les premiers et les seconds.
L’imitation nous a conduit à aborder au travers de quelques exemples la question passionnante des interactions précoces. Cette question intéresse actuellement de nombreuses disciplines qui peuvent chacune apporter un éclairage particulier avec les modes d’approche spécifiques qui sont les siens. Ces études, qu’elles émanent du domaine de la neuropsychologie, de l’éthologie humaine ou de la psychanalyse aident à mieux comprendre le développement de l’enfant, normal ou pathologique comme dans l’autisme et les troubles apparentés. Il me semble que l’on peut reconnaître à FREUD et à ses élèves le mérite d’avoir su porter un regard attentif sur l’enfant, sur les étapes initiales de son développement et sur ses premières relations à l’autre, dont l’importance dans la constitution de sa personnalité future d’adulte, si elle est une évidence de nos jours, ne l’était sûrement pas à l’époque de la découverte de la psychanalyse.

mardi 16 septembre 2008

Le langage dans son plus simple appareil

L’intérêt de la «Contribution à la conception des aphasies» ne s’épuise pas dans le rapprochement fait entre une conception de l’appareil du langage datant de la fin du XIXe siècle et les découvertes actuelles sur les neurones miroirs. Il réside également dans les prolongements que les thèses qui y sont exposées ont pu avoir dans le développement ultérieur de la théorie psychanalytique.
«Appareil du langage» est une expression qui revient souvent dans le texte de FREUD et elle ne peut manquer d’évoquer celle d’ «appareil psychique» que l’on retrouve ensuite tout au long de son œuvre, par exemple dans l’ «Esquisse d’une psychologie scientifique» ou encore dans le chapitre 7 de «L’interprétation des rêves» et jusque dans ses tous derniers écrits tels que «L’abrégé de psychanalyse». Elle est étroitement liée au point de vue topique de la métapsychologie freudienne.
La découverte du neurone en tant qu’unité fonctionnelle du système nerveux est contemporaine des premiers écrits de FREUD, lequel s’empare de ces données récentes de la neurologie ; s’appuyant dessus, il propose ce schéma qui concerne le langage aussi bien sur son versant réceptif que sur son versant expressif et dans ses modalités verbale et écrite – il ne faut donc pas s’étonner d’y voir figurer le bras qui participe à l’écriture. Il est également précisé que ce schéma ne correspond pas à des localisations anatomiques précises, mais qu’il vient figurer une organisation fonctionnelle. L’expression clinique des troubles du langage varie selon que la lésion cérébrale touche telle ou telle interconnexion, telle aire associative…

Dans les développements qui suivent, je précise qu’il n’est nullement dans mes intentions de réveiller les vieilles querelles qui divisent de longue date les psychanalystes en différentes écoles. De mon point de vue, ces derniers ont actuellement suffisamment à faire pour répondre à leurs détracteurs extérieurs à la discipline sans qu’ils ne s’épuisent dans des querelles internes.
Ceci dit, quel que soit l’intérêt porté aux thèses lacaniennes, avec en particulier la célèbre formule d’un inconscient «structuré comme un langage», et quel que soit le degré d’adhésion qu’on leur accorde, il est assez évident que la lecture de l’œuvre freudienne renvoie de façon récurrente à la question du langage. On peut citer à titre d’exemple «La psychopathologie de la vie quotidienne» avec son étude sur l’oubli de nom, les lapsus… et «Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient», les traits d’humour reposant fréquemment sur des jeux de mots, sur l’équivoque née du double sens qu'ils recèlent…
En quoi la question du langage est-elle cruciale pour la psychanalyse ? En premier lieu, tout simplement parce que le principe essentiel de la cure repose sur l’écoute de la parole du patient… il s’agit d’une «talking cure» pour reprendre les termes d’une des premières patientes de FREUD. L’importance du traité sur les aphasies n’en ressort que davantage. Il est à retenir le rapport qui y est posé entre représentation de mots (l’image acoustique) et représentation de choses (le concept), des notions qui seront plusieurs fois reprises par FREUD et qui peuvent également être associées aux conceptions lacaniennes du signifiant et du signifié.

mercredi 10 septembre 2008

Miroir, mon beau miroir...

Le domaine des neurosciences est très vaste et le choix d’un thème particulier pour l’aborder n’avait rien d’évident. La lecture de Freud dans son traité sur les aphasies nous ayant d’emblée orienté vers la question des «Neurones miroirs» laissons-nous entraîner dans cette voie, d’autant qu’il s’agit d’une découverte relativement récente et a priori extrêmement féconde si nous considérons les implications qu’elle peut avoir dans la compréhension du développement de l’enfant, des processus mis en jeu dans la communication et les interactions sociales, ainsi que des troubles qui peuvent s’observer à ce niveau.
La parution du livre de référence en la matière, «Les neurones miroirs», date de janvier 2008 ; il est co-signé par Giacomo RIZZOLATTI et Corrado SINIGAGLIA, le premier professeur de physiologie humaine et directeur du département de neurosciences de l’Université de Parme, le second professeur de philosophie des sciences à l’Université de Milan ; y sont présentées les récentes découvertes qui ont été faites à partir du milieu des années 1990, dans un premier temps chez des macaques, puis chez l’homme.
Dans les expériences initiales, il a été montré que certains neurones du cortex prémoteur des singes émettent des potentiels d’action non seulement lorsqu’ils exécutent un mouvement, mais également quand ils observent un de leurs congénères ou l’expérimentateur faire ce même geste. L’action de l’autre semble reflétée dans le cerveau de l’observateur, d’où la dénomination de «neurones miroirs».
Proche de ce phénomène, il est décrit des «neurones canoniques» qui s’activent à la simple vue d’un objet susceptible d’être saisi par la main, comme si le cerveau anticipait une interaction possible avec l’objet, que le geste de préhension soit ou non exécuté par la suite.
Des neurones miroirs en tout point comparables ont pu être mis en évidence chez l’homme grâce aux techniques de tomographie par émission de positrons (TEP) et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Curieusement, l’aire prémotrice chez l’homme où s’observent ces neurones miroirs correspond à l’aire de Broca, qui est aussi l’aire du langage ; il en existe également une au niveau du cortex pariétal. L’activité de certains de ces neurones peut s’intégrer dans des processus plus complexes que ceux décrits chez les macaques et être liée à la perception d’une émotion sur le visage d’autrui, une expression de dégoût ou de douleur par exemple, comme cela pourrait s’observer si le sujet ressentait lui-même ces émotions.
Ces phénomènes viennent remettre en cause les schémas classiques du fonctionnement cérébral qui dissocient la perception et la motricité, avec intercalée une étape intermédiaire, cognitive, qui permettrait après analyse des données perceptives d’ajuster au mieux l’action de l’individu. Le phénomène des neurones miroirs montre qu’au contraire, la fonction motrice est intimement liée à la perception et qu’elle participe d’emblée à une appréhension de l’environnement du sujet. Plus encore, au travers du mouvement ainsi perçu chez un autre et ressenti de l’intérieur, ce sont ses actions et ses intentions qui peuvent être anticipées. La réciproque étant vraie, le phénomène des neurones miroirs semble jouer un rôle fondamental au niveau de l’ajustement indispensable dans la communication entre deux individus, chacun ayant en lui une représentation instantanément actualisée de l’état mental de l’autre, représentation qui lui permet d’anticiper ses actions, de deviner ses intentions, son état émotionnel et de réagir en conséquence…
Des caractéristiques neuroanatomiques telles que la correspondance entre l’aire prémotrice où s’observent les neurones miroirs et l’aire du langage laissent supposer que ces derniers ont pu jouer un rôle important au cours de l’évolution, la communication par le langage des êtres humains ayant pu se constituer sur le socle d’une communication par gestes… ce qui explique peut-être que nos paroles s’accompagnent encore, et le plus souvent à notre insu, d’une gestuelle qui en dit sûrement plus long que ce que nous imaginons.
Signalons enfin que l’existence de neurones miroirs qui s’activent à l’audition de la parole a été expérimentalement démontrée, confirmant l’intuition freudienne telle qu’elle avait été exposée dans le traité sur les aphasies, plus d’un siècle en arrière…

lundi 1 septembre 2008

Freud et les Troubles Sévères du Langage

Le parcours que je vous propose, entre psychanalyse et neurosciences, est loin d'être complètement balisé d'avance. La feuille de route n'est pas tracée dès le départ et toute suggestion pour une étape, un itinéraire particulier est la bienvenue.
J'ai souhaité débuter ce cheminement par un texte de Freud, «Contribution à la conception des aphasies», lequel ne constitue pas une de ses œuvres majeures, mais qui a la particularité de se situer dans une période dite pré analytique et qui introduit assez bien la problématique que je désire vous soumettre. Comme il est écrit en quatrième de couverture : «Des notions aussi centrales que appareil psychique et représentation de mots trouvent dès lors un éclairage nouveau à la lecture de cette étude qui, loin de confirmer la séparation, réclamée par Freud lui-même, entre des discours neuro-anatomique ou neurophysiologique et une théorie psychanalytique, relance la question de leurs rapports intriqués».
Je dois avouer que le choix de ce texte portant sur les aphasies m'a paru d'autant plus intéressant que, sur le terrain concret de notre pratique, des oppositions très sensibles se manifestent à ce jour autour des troubles des apprentissages, des «Troubles sévères du langage», pour reprendre une terminologie très actuelle, des syndromes en "Dys", au premier rang desquels nous retrouvons les dysphasies, mais aussi les dyslexies, les dyspraxies… autant de notions qui ont souvent le don d'irriter les tenants d'une approche psychodynamique.
Assurément, nous avons affaire dans ce travail à un Freud neurologue, d’avant l’avènement de la psychanalyse. La clinique qu’il développe se fonde sur des lésions cérébrales avérées, dont la nature exacte n’est le plus souvent révélée qu’à l’autopsie. De nos jours, grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, il est heureusement permis de connaître la localisation précise et l’étendue des lésions, sans attendre le décès du patient. Freud engage un dialogue avec les neurologues parmi les plus réputés de son époque parmi lesquels on retiendra facilement Broca et Wernicke qui ont donné leur nom à des aires cérébrales dévolues au langage ainsi qu’à deux types très différenciés d’aphasie.

Il n’est pas utile de s’attarder sur l’objet de la discussion de Freud qui est quelque peu daté ; à une vision statique et morphologique qui rattache une fonction à une zone précise du cerveau, il oppose une vision dynamique qui souligne l’importance des connexions entre les différentes aires cérébrales. Il défend finalement une conception très actuelle de la neurophysiologie et, si on entre dans le détail du texte, on peut même trouver des idées d’une grande modernité.
Je tenterai d’en donner un exemple dans ce court extrait, malgré peut-être un abord rendu difficile par le fait qu’il se trouve sorti de son contexte :
«Sans doute ne devons-nous pas concevoir la compréhension des mots en cas d’incitation périphérique comme simple transmission des éléments acoustiques aux éléments d’associations d’objet. Il semble plutôt qu’au cours de l’écoute compréhensive, l’activité associative verbale soit incitée en même temps, de sorte que nous répétons, en quelques sorte, intérieurement ce que nous avons entendu et que nous étayons alors simultanément notre compréhension sur nos impressions d’innervation du langage. Un degré plus élevé d’attention lors de l’écoute s’accompagnera d’un transfert plus important de ce qui a été entendu sur le faisceau moteur du langage. On peut imaginer que l’écholalie se produit lorsque la conduction de l’association vers les associations d’objets rencontre un obstacle. Alors toute l’incitation s’extériorise dans une répétition plus forte, à haute voix».
Si je comprends bien ce que dit Freud dans ce court passage, lorsque nous écoutons des mots, nous ne nous contentons pas d’associer la perception auditive à des représentations mentales des objets correspondant à ces mots, mais nous activons les zones motrices qui permettraient de prononcer ces mots, laquelle activation participe à la compréhension de ce qui est entendu. Freud ajoute que, si un obstacle est rencontré dans ce processus de compréhension, le renfoncement de l’activation des zones motrices peut aller jusqu’à une répétition à haute voix des mots entendus, ce qui caractérise le phénomène d’écholalie.
Pour ma part, je trouve difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qu’avance Freud dans ces quelques lignes et les découvertes récentes sur les «neurones miroirs». Par ailleurs, l’hypothèse faite sur le mécanisme de l’écholalie reste encore très séduisante.
Le caractère visionnaire de Freud pourrait être attesté par d’autres exemples, mais là ne réside pas le seul intérêt de sa «Contribution à la conception des aphasies». Bien que relevant pleinement du champ de la neurologie et malgré la volonté de Freud de ne pas inclure ce texte dans le corpus de la psychanalyse, il est bien évidemment assez tentant de le considérer à la lumière des développements ultérieurs de la théorie freudienne, d’y reconnaître en germe ce qui constituera des concepts importants de la théorie analytique et de dégager une sorte de fil conducteur entre une approche neuropsychologique initiale et l’approche psychanalytique ultérieure...