dimanche 30 novembre 2008

Inventaire... à la Prévert

La poursuite de notre brève étude de l’Esquisse, me conduit à vous proposer une forme d’inventaire des différents notions psychanalytiques qui y sont abordées, la liste n’en étant pas forcément exhaustive… Pour certaines d’entre elles, il n’est nul besoin de se plonger dans le texte et il suffit de se reporter à l’intitulé des paragraphes de l’Esquisse ; pour les plus importantes, nous situerons les prolongements que FREUD y apportera dans la suite de son œuvre.
- une préfiguration de la première topique : au système φ auquel se rattachent les phénomènes de perception et au système ψ, dans lequel s’enregistrent sous forme de traces mnésiques les perceptions, FREUD vient rajouter le système ω, qui est le lieu de la conscience. C’est dans L’interprétation des rêves (1900) et particulièrement dans son chapitre VII qu’il donnera une forme définitive à sa première topique avec la mise en place des systèmes Inconscient – Préconscient – Conscient en reprenant pour une très large part les développements de l’Esquisse.
- une préfiguration de la deuxième topique développée dans Le moi et le ça (1923) avec les Premières notions du moi, une instance à l’interface d’une réalité interne et d’une réalité externe, qui régule les flux d’énergie selon le principe de plaisir/déplaisir, mais avec la prise en compte de la réalité externe.
- une opposition principe de plaisir – principe de réalité : devant l’échec du réinvestissement hallucinatoire de la trace mnésique de l’objet de satisfaction, le nourrisson est conduit à tenir compte de la réalité, sa satisfaction réelle étant liée à la présence ou l’absence de l’objet de satisfaction. L’élaboration achevée de FREUD sur ce sujet se retrouve dans Formulation sur les deux principes du fonctionnement psychique (1911). Il y est fait également allusion dans La (dé)négation (1925) où il est possible de lire «… ce qui détermine l’institution de l’épreuve de réalité, c’est que des objets qui autrefois avaient apporté une satisfaction réelle ont été perdus».
- une dualité entre processus primaire – processus secondaire : elle fait l’objet d’un paragraphe de l’Esquisse : «Une charge en désir allant jusqu’à l’hallucination, jusqu’à la production totale de déplaisir et impliquant l’intervention de toute la défense peut être qualifiée de ’’processus psychique primaire’’. Nous appellerons ’’processus secondaires’’, au contraire, ceux que rendent possibles un bon investissement du moi et une modération du processus primaire».
- une modélisation dans l’expérience de satisfaction de la relation à l’objet primaire, la mère, qui se trouve être au fondement de toutes les relations objectales ultérieures.
- un clivage entre bon et mauvais objet : FREUD parle d’une personne secourable dans le paragraphe sur l’Epreuve de satisfaction et de l’objet hostile dans le paragraphe qui suit immédiatement, traitant de l’Epreuve de douleur. Il est possible de reconnaître dans ces figures les précurseurs des bons et mauvais objets kleiniens ou de la mère suffisamment bonne de Winnicott…
- une ébauche de la théorie de la pulsion ultérieurement explicitée dans Pulsions et destins des pulsions (1915). En effet, il est également loisible de reconnaître dans cet objet primaire l’objet pulsionnel. On se rappelle que la pulsion a sa source dans une excitation corporelle, son but étant de supprimer l’état de tension qui règne à la source pulsionnelle et que c’est dans l’objet ou grâce à lui que la pulsion peut atteindre son but. Tous les ingrédients en jeu dans la pulsion, tous ses composants sont déjà en place dans l’expérience de satisfaction telle qu’elle nous est décrite dans l’Esquisse.
- une articulation du besoin et du désir : les soins maternels et l’apport de la nourriture permettent bien sûr la satisfaction du besoin avec la disparition de la tension et du déplaisir causés par la faim, mais ils procurent en outre un plaisir supplémentaire, lié à l’excitation de la zone orale, toute première zone érogène chez le nourrisson. Le désir peut se définir comme la recherche de cette jouissance première à jamais fixée dans des traces mnésiques inconscientes.
- une théorie du rêve qui sera bien évidemment très largement développée dans L’interprétation des rêves (1900) : le rêve comme accomplissement d’un désir, par un réinvestissement hallucinatoire des traces mnésiques liées à l’expérience de satisfaction.
- …
Et nous nous en tenons à la seule première partie de l’Esquisse qui en comporte trois, la seconde étant consacrée à la psychopathologie qui renvoie bien évidemment aux Etudes sur l’hystérie et autres articles rassemblés dans Névrose, psychose et perversion et la troisième au processus ψ normaux.
L’abandon par FREUD de son Projet de psychologique scientifique tient sûrement à la difficulté d'opérer une synthèse satisfaisante des différentes conceptions qui y sont développées. Mais, cela n’enlève rien à la richesse des fragments qui y sont présentés… L’Esquisse constitue un véritable vivier conceptuel dans lequel FREUD viendra puiser tout au long de sa vie pour l’élaboration de l’ensemble de sa métapsychologie.

dimanche 23 novembre 2008

Mega top, les neurones… hyper branchés !

La plasticité cérébrale conduit à aborder des notions quelque peu techniques, mais le sujet est passionnant et, de notre point de vue, difficile à ignorer en ce début du XXIe siècle. Les médias font régulièrement état des découvertes les plus récentes dans le domaine des neurosciences, des articles sur ce thème se multiplient dans les magasines, des émissions de télévision y sont consacrées… L’honnête homme d’aujourd’hui ne peut le méconnaître, encore moins l’honnête psychiatre ou tout honnête soignant exerçant dans cette discipline, sinon à courir le risque qu’une telle attitude participe d’une forme d’obscurantisme.
Au cours de l’embryogenèse, les neuroblastes donnent naissance aux neurones qui viennent se positionner là où ils le doivent et en particulier au niveau du cortex cérébral. Suite à la prolifération des cellules nerveuses et à leur migration vers leur emplacement définitif dans le cerveau, on assiste au développement des dendrites et de l’axone. Chaque neurone est en effet composé d’un corps cellulaire, de dendrites et d’un axone ; la fonction qui sera la sienne dépend de sa localisation et des connexions qu’il établit avec les autres neurones. Ces connexions se font au niveau des synapses : les dendrites correspondent à la zone réceptrice du neurone tandis que l’axone correspond à la zone émettrice ; ce dernier, de dimension variable, peut mesurer jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres, une taille gigantesque en comparaison de celle du corps cellulaire ; c’est le cas par exemple des neurones du cortex moteur qui sont reliés au motoneurones de la moelle épinière.

L'homme neuronal - J.P. CHANGEUX
L’une des premières difficultés consiste en ce que l’axone puisse atteindre sa cellule cible. Pour cela, le cône de croissance de l’axone est en quelque sorte guidé par des signaux chimiques qui lui permettent d’atteindre sa destination finale. S’ensuit l’étape de la synaptogénèse : les premiers contacts synaptiques simples apparaissent au cours du cinquième mois de gestation ; le développement synaptique se fait de manière extensive dans toutes les régions du cerveau au cours du septième mois et se poursuit après la naissance, avec une densité synaptique maximale entre six et douze mois.
L’étape suivante ne peut se concevoir qu’en ayant à l’esprit le caractère redondant du système neuronal à ce stade de connectivité maximale, soit l’existence d’un surnombre de neurones et de connexions synaptiques : 60% des synapses seront éliminées quand le cerveau arrive à maturité à l’âge adulte. La théorie de la stabilisation sélective des synapses de J.P. CHANGEUX renvoie à deux phénomènes : la disparition de certains axones par la mort du neurone, phénomène dit d’apoptose, et la stabilisation de certaines connexions synaptiques au détriment d’autres qui vont au contraire régresser. C’est l’activité des neurones qui va ainsi sélectionner les circuits neuronaux les plus efficients : seules seront conservées les connexions synaptiques intégrées dans un circuit neuronal fonctionnel. Le fonctionnement du système nerveux va donc avoir un impact direct sur sa structure, dans un processus d’auto organisation largement déterminé par les interactions de l’organisme avec son environnement.
Cette présentation est bien évidemment extrêmement simplifiée, mais nous l’espérons suffisante pour notre propos. Il en ressort entre autre que la théorie du frayage avancée par FREUD se trouve bel et bien confirmée par les données actuelles de la science, qu’elles soient tirées de l’expérimentation animale ou de l’imagerie cérébrale chez l’être humain.
Pour terminer, il faut encore rajouter que la plasticité cérébrale se manifeste de façon éclatante dans les phases précoces du développement, au cours des premières années de la vie, mais qu’elle se poursuit jusqu’à la maturité complète du système nerveux après l’adolescence et même au-delà, chez l’adulte, tout au long de la vie. La plasticité cérébrale est en effet essentielle dans les phénomènes liés à la mémoire et aux apprentissages. Elle permet également de compenser certains dysfonctionnements résultant de lésions du système nerveux. Tout récemment, il a été démontré que de nouveaux neurones pouvaient se former chez l’adulte, alors qu’il était couramment admis jusqu’ici que le stock de neurones était constitué à la naissance et qu’il ne faisait que diminuer, avec l’avancée en âge…
Tout ceci ne peut que nous inciter à faire un bon usage de notre cerveau, en évitant de trop le laisser se ramollir…

samedi 15 novembre 2008

(I can’t get no) Satisfaction

La poursuite de la lecture de l’Esquisse nous conduit à ce qui a été retenu sous le terme d’Expérience de satisfaction. Nous renvoyons le lecteur disposant d’un exemplaire du Vocabulaire de la psychanalyse de LAPLANCHE et PONTALIS à l’article fort bien fait consacré à ce thème. Pour ceux qui en seraient dépourvus, nous allons nous efforcer de résumer ce que recouvre cette expérience originaire postulée par FREUD chez le nourrisson, qui consiste en l’apaisement d’une tension interne créée par le besoin grâce à une intervention extérieure.
Avant de la présenter, il nous faut cependant compléter la description sommaire faite de l’appareil psychique en rajoutant que le système ψ reçoit des influx provenant non seulement des perceptions du monde extérieur par l’intermédiaire des neurones φ, mais également de l’organisme lui-même. Contrairement aux perceptions extérieures dont il est possible de se préserver au moins partiellement par la motricité, il s’avère impossible de se soustraire aux excitations endogènes, provenant de l’intérieur du corps.
Examinons le fonctionnement de l’appareil psychique dans l’exemple proposé de l’expérience de satisfaction. Une excitation grandissante est perçue par le nourrisson liée à la sensation de faim. Du fait de l’état de détresse et d’impuissance dans lequel il se trouve, de par l’immaturité de son système nerveux, il est dans l’incapacité de satisfaire par lui-même ce besoin. Il va alors tenter de se libérer de l’état d’excitation par une agitation motrice, par des cris… Cette activité motrice en elle-même n’est pas en mesure de procurer un apaisement, mais elle va avoir pour effet d’alerter une personne extérieure qui elle, par une action appropriée, soit l’apport de nourriture, va être en capacité de répondre aux besoins de l’enfant et de faire cesser l’état de déplaisir auquel il était soumis.
Le nourrisson va conserver de cette expérience, par le mécanisme de frayage, des traces mnésiques qui associent la sensation de tension liée à la faim, la réponse motrice que cette tension entraîne et la satisfaction du besoin par l’intervention adéquate d’un objet extérieur. Lorsque, ultérieurement, la sensation de faim va resurgir, il y aura une réactivation de ces traces mnésiques aboutissant dans un premier temps à une satisfaction du besoin sur un mode hallucinatoire, par un réinvestissement de l’image de l’objet qui avait été source de plaisir : cette hallucination primaire correspond à l’émergence des toutes premières représentations mentales de l’enfant. Mais cette satisfaction sur un mode hallucinatoire ne peut apaiser la tension ressentie ; la réactivation des traces mnésiques est insuffisante à compenser l’absence de l’objet.
Le nourrisson va de ce fait être conduit à investir la réalité extérieure, dans la mesure où seul un objet externe est susceptible de satisfaire ses besoins vitaux. A partir de là, les cris et l’agitation motrice qui initialement ne résultaient que d’une action réflexe vont petit à petit s’inscrire dans un processus de communication et prendre valeur d’une demande adressée à l’autre. La rencontre première avec l’objet, source de satisfaction, va être constitutive du désir ; elle guidera tout au long de la vie la recherche de l’objet satisfaisant.
Il n'est pas inutile d’insister sur le fait que l’expérience de satisfaction est liée à l’état de détresse originel de l’être humain et de sa dépendance, pour sa survie, à l’égard de l’autre, seul capable, par une action spécifique, de réduire la tension résultant des excitations endogènes. Cette prématuration du nouveau-né avec la totale dépendance à autrui qui l’accompagne sur une période prolongée, loin de constituer un handicap en terme d’évolution comme on pourrait l’imaginer au regard d’autres espèces animales plus aptes à subvenir précocement à leurs besoins, contribue au contraire à un développement exceptionnel de l’humain, par le renforcement de l’importance du lien à l’autre, dont la survie même de l’enfant dépend.
« L’organisme humain à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alerté, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris de l’enfant, par exemple). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrême importance : celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient ainsi la source première de tous les motifs moraux ».
On peut également retenir que les traces mnésiques des différents événements qui constituent l’expérience de satisfaction se trouvent associées du fait de leur contemporanéité : « Or, il existe une loi fondamentale d’association par simultanéité et cette loi joue au cours de l’activité ψ pure (durant la reproduction par le souvenir) et donne le fondement de toutes les connexions entre neurones ψ », une proposition qui ne se trouve pas démentie par les connaissances actuelles sur le phénomène de la mémoire.

dimanche 9 novembre 2008

«L’homme neuronal» selon J.P. CHANGEUX

Jean-Pierre CHANGEUX, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, directeur du laboratoire de neurologie moléculaire de l’Institut Pasteur a en outre présidé le Comité national consultatif d’éthique de 1992 à 1998, ceci pour ne retenir que les plus importants de ses titres et fonctions. La parution de son ouvrage en 1983 a trouvé un large écho auprès du grand public, mais a également suscité de nombreuses controverses, en particulier dans le milieu psy. Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation qui résume et synthétise sept années d’enseignement au Collège de France portant sur les progrès récents dans la connaissance du fonctionnement du cerveau.
Dès la préface, il est écrit : «Le développement des recherches sur le système nerveux s’est toujours heurté, au cours de l’histoire, à de farouches obstacles idéologiques, à des peurs viscérales, à droite comme à gauche. Toute recherche qui, directement ou indirectement, touche à l’immatérialité de l’âme met la foi en péril et est vouée au bûcher. On craint aussi l’impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpées par certains, peuvent devenir des armes oppressives».
L’intérêt du premier chapitre, L’organe de l’âme de l’Egypte ancienne à la Belle Epoque, est précisément de retracer l’historique des théories et découvertes sur le cerveau, son rôle et son fonctionnement. Ceci permet en particulier de reconsidérer les polémiques d'aujourd'hui au regard des controverses plus anciennes qui ont émaillé l’évolution des idées sur ce thème.
Dans l’état actuel des connaissances, il apparaît que le cerveau humain résulte de l’aboutissement d’évolutions multiples, phylogénétique, ontogénétique et épigénétique, se situant sur des échelles de temps très différentes.
L’évolution phylogénétique, par le mécanisme de la sélection naturelle, aboutit à une complexification croissante du système nerveux, des organismes les plus simples jusqu’à Homo sapiens en passant par nos lointains ancêtres, poissons et dinosaures. La structure même de notre cerveau reflète cette évolution puisqu’il est possible de distinguer un cerveau reptilien, le plus ancien, composé du cervelet et du tronc cérébral, chargé d’assurer le contrôle des fonctions vitales, un cerveau limbique, constitué de structures cérébrales profondes, – hippocampe, amygdales, hypothalamus… – apparues avec les premiers mammifères et qui participe à la gestion de nos émotions et enfin le néocortex, composé des deux hémisphères cérébraux qui prend une importance considérable chez les primates et particulièrement chez l’homme en étant le siège des fonctions cérébrales supérieures telles que la conscience, le langage, la mémoire et les apprentissages…
L’évolution ontogénétique, depuis la conception jusqu’à la formation de l’organisme, découle de la réalisation du programme génétique. A partir de l’union des gamètes et des premières divisions cellulaires, des différenciations vont conduire à la formation de trois feuillets – ectoderme, mésoderme et endoderme. Le système nerveux se développe à partir de l’ectoderme avec la formation du tube neural, puis des différenciations successives aboutissent à la mise en place des principales structures qui le composent.
Le développement postnatal, dit épigénétique aboutit à la constitution des réseaux neuronaux grâce aux interactions avec le milieu physique et socioculturel : l'évolution du cerveau superpose, à l'action des gènes, un développement intrinsèque coordonné par l'apprentissage et l'expérience propres au cerveau de chaque individu. Compte tenu du nombre extrêmement élevé des neurones, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards, et du nombre encore plus grand de leurs connexions, de l'ordre d'un million de milliards, il apparaît en effet que les gênes sont insuffisants pour coder l’ensemble de l’architecture du système nerveux, jusque dans ses moindres détails. Dans le débat sur les liens unissant corps et esprit, les accusations selon lesquelles la perspective neurobiologique serait réductrice ne sont pas fondées dans la mesure où la maturation du système nerveux, inachevée à la naissance, aboutit sous l'effet d’une histoire strictement individuelle et qu’elle n’est pas exclusivement déterminée par l’exécution d’un programme génétique fixé d’avance.
Dans sa conclusion, Jean-Pierre CHANGEUX peut écrire : «Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l'homme paraissent, en effet, suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais, à quoi bon parler d’ ’’Esprit’’ ? Il n’y a plus que deux ’’aspects’’ d’un seul et même événement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l’introspection), soit à celui du neurobiologiste». A rapprocher de certaines propositions de FREUD précédemment citées sur ce même sujet.