mercredi 23 mars 2011

Famille d'accueil

Un prochain Conseil de Pôle du service de pédopsychiatrie doit aborder une réflexion portant sur les enfants placés en famille d'accueil et sur l'incidence que cela peut avoir sur nos prises en charge thérapeutiques.
J'ai repensé à un texte qui date quelque peu que j'avais écrit à l'occasion d'une "Journée du Placement Familial Thérapeutique" organisée à la Clinique psychothérapique de Rozès, le 3 Octobre 1991 sur le thème suivant "La place de la famille d'accueil dans le processus thérapeutique".
La Clinique de Rozès est en fait le Centre hospitalier spécialisé du département de l'Ariège, lequel est situé à Saint-Lizier, petite commune à côté de Saint-Girons. C'est dans cet établissement que j'ai fait une grande partie de mon internat. En 1991, j'y étais assistant... Cela ne nous rajeunit pas !
Bien que datant de 20 ans, les réflexions que je faisais alors ne me paraissent pas complètement démodées : j'y évoquais la place souvent inconfortable des familles d'accueil, dans un entre-deux, une position intermédiaire entre celle de parent et celle de professionnel...
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« Pour entamer cette journée, je vous ferai part de quelques réflexions personnelles que m'a inspiré la lecture des comptes rendus de la journée d'Albi. Je ne ferai pas de longs développements, n'ayant d'autre prétention que d'amorcer notre réflexion de ce jour, et je laisserai rapidement la parole à l'éducateur de l'équipe de P.F. de Tarbes, qui faute de temps, avait été empêché de s'exprimer lors de notre précédente rencontre.
Une phrase entre autre a accroché mon regard, dans l'exposé du cas de Martial, présenté par notre équipe.
"Martial fait l'objet d'un rejet global et la situation parait être complètement bloquée. Les perspectives d'évolution paraissent peu favorables et c'est dans un sentiment de pessimisme ambiant que vont être proposés à l'enfant et à sa famille une aide de type psychothérapique et un déplacement dans une famille d'accueil".
Phrase qui traduit bien une impression générale quant au Placement familial : ce n'est pas un moyen thérapeutique banal auquel on pense en première intention. Bien au contraire, on ne l'envisage qu'en dernier recours, quand la situation apparaît désespérée, rebelle aux autres moyens thérapeutiques "plus doux" qui ont notre préférence habituellement (de type psychothérapie, rééducations diverses, visite à domicile...).
Les trois cas exposés la dernière fois le vérifient : que ce soit le cas de Christine présenté par l'équipe d'Albi, celui de Séverine présenté par l'équipe de Thuir ou celui de Martial, on retrouve dans des proportions variables des difficultés très importantes au niveau de la pathologie individuelle et du contexte socio-familial.
Cette impression générale, cette réticence du praticien à recourir au Placement Familial, n'est sûrement pas sans fondement et elle atteste :
- d'une part, d'une certaine efficacité de ce mode thérapeutique dans la mesure où on ne l'envisage que dans les cas graves,
- d'autre part et corrélativement, du risque inhérent à ce type de traitement qui, s'il possède un effet thérapeutique, n'est pas sans effet secondaire. Comme dans l'ensemble de la pratique médicale, les risques encourus d'effets indésirables ne pourront être pris qu'en fonction des bénéfices que l'on peut espérer de la méthode thérapeutique.
Si j'ai cité cette phrase, c'est également à cause du terme de déplacement. J'avoue qu'à la lecture du texte, j'étais persuadé qu'il s'agissait d'une erreur de la secrétaire ou d'un lapsus calami que, bien entendu, je trouvais fort intéressant. Renseignement pris auprès de l'auteur, c'est de façon tout à fait délibérée qu'il avait usé de ce terme.
Intéressant en quoi ? en ce qu'il renvoie à une série de termes qui constituent à mon avis le fondement de la pratique du placement familial : placement, déplacement, remplacement. On peut y ajouter, bien sûr, le terme de place qu'on retrouve dans le thème choisi pour nos journées de réflexion et qui tourne autour de la place de la famille d'accueil dans le processus thérapeutique.
Une discussion s'est engagée dans notre équipe sur une question de terminologie : accueil familial thérapeutique ou placement familial thérapeutique ? Le terme d'accueil est intéressant en ce qu'il permet de se dégager de certaines connotations attachées à celui de placement : placements DDASS, Justice... mais il est peut être regrettable qu'il élimine également les connexions sémantiques évoquées plus haut.
Toujours en associant à partir de ces termes, mais en passant du domaine du Placement Familial à celui de la psychanalyse on se rend compte que là encore, ils sont loin d'être anodins et peuvent nous entraîner assez loin :
- déplacement :
"Fait que l'accent, l'intérêt, l'intensité d'une représentation est susceptible de se détacher d'elle pour passer à d'autres représentations originellement peu intenses, reliées à la première par une chaîne associative.
Un tel phénomène particulièrement repérable dans l'analyse du rêve se retrouve dans la formation des symptômes psychonévrotiques et, d'une façon générale, dans toute formation de l'inconscient".
C'est la définition qui est proposée dans le "Vocabulaire de la Psychanalyse".
On peut rappeler également que J. LACAN, reprenant les travaux du linguiste JACKOBSON, assimile le déplacement à la métonymie et la condensation à la métaphore, le désir humain étant fondamentalement structuré par les lois de l'inconscient et constitué comme une métonymie. Le désir est fondamentalement insatisfait : cet obscur objet du désir ne peut être atteint ; tout objet ne vaut qu'en tant que substitut.
"... la seule chose qui importe de comprendre, ce sont ses avatars (du désir) et ses mutations, liés aux places successives qu'il occupe au sein de configurations déterminées. Seules les lois de circulation du désir permettraient de saisir pourquoi l'être humain reproduit indéfiniment des expériences dont le principe n'a rien à voir avec un - quelconque plaisir ressenti", (article de BALDINE SAINT-GIRONS sur le Désir dans 1'Encyclopaedia Universalis)
Sans insister, on se rend bien compte de l'importance d'un concept comme celui de déplacement dans l'ensemble de la théorie psychanalytique et qu'à partir de lui et de proche en proche on est renvoyé à des notions telles que celles de substitut (Ersatz en Allemand) ou formation substitutive, de désir, de répétition...
Une notion et non des moindres a été omise dans cette énumération qui est celle de transfert : au début de son élaboration théorique en effet, transfert est pour Freud synonyme de déplacement. Ce n'est qu'ultérieurement que le transfert viendra désigner un mode particulier de déplacement qui est celui observé dans le dispositif d'une cure analytique, un phénomène se rapportant à la personne du thérapeute et qui peut bien être considéré comme le moteur de la cure.
Peut être cette rapide référence à la théorie psychanalytique peut-elle nous faire entrevoir en quoi réside, pour une part au moins, les ressorts de l'efficacité d'un placement familial, tant au niveau des effets bénéfiques, positifs, thérapeutiques qu'au niveau des effets secondaires néfastes. Peut-être peut-elle également nous aider à mieux préciser les risques d'une telle entreprise.
Le transfert est un phénomène que les thérapeutes avisés manient avec beaucoup de précautions. Qu'en est-il des phénomènes d'ordre transférentiel dans le placement familial ? multiples, diffus et parfois très difficiles à cerner : une expérience toute récente nous aura au moins appris qu'il convenait de ne pas sous estimer certaines réactions possibles de la part de la famille élargie et de l'entourage social immédiat de la famille naturelle.
La famille d'accueil est tout particulièrement exposée à ses phénomènes d'ordre transférentiel. Elle n'est pas forcément préparée à y répondre de manière adéquate. De plus, la situation de placement familial exclut toute attitude de "neutralité bienveillante" ou équivalent pouvant caractériser la position de l'analyste ; le risque d'acting out, de part et d'autre est permanent.
On peut évoquer à titre d'exemple le mouvement "régressif" qui a été observé chez Martial dans la seconde phase de son placement et l'attitude pour le moins complaisante de l'assistante maternelle.
Le travail principal de l'équipe consistera précisément à se porter garant de la place de chacun dans le dispositif complexe du Placement familial. Il semble que cela puisse se faire en "professionnalisant" la famille d'accueil ce qui peut permettre de limiter certains mouvements affectifs excessifs, l'appropriation de l'enfant par sa famille d'accueil, d'éviter que le système ne s'affole...
Des cas exposés lors de la journée d'Albi, je retiendrais deux exemples significatifs à cet égard :
- celui de la famille d'accueil de Martial qui, quand celui-ci fort justement leur pose la question du paiement, dans un premier temps dénie toute rémunération pour le placement et, avec pour corrélat à ce déni, l'idée un peu folle d'en faire l'héritier de la famille, comme s'il en était "le 3ème enfant". S'il était besoin de prouver le lien entre la question de la rémunération et celle de l'appartenance de l'enfant à une famille, nous aurions à travers cet exemple un argument de poids.
On peut signaler l'évolution de la famille d'accueil par rapport à l'argent et à la rémunération qui se situe davantage maintenant sur un mode de revendications salariales auprès de 1'employeur.
- autre exemple assez proche : celui de la première famille d'accueil de Christine. Je ne fais que reprendre les remarques exprimées par l'équipe d'Albi : "En tant qu'employeur de Mr et Mme D. , devions-nous accepter leurs dates de congés, vu les déplacements que cela imposait à Christine ?"
Un peu plus loin : "De plus, Mr et Mme D. partent souvent en congé, Mme D. ne se considère pas comme une salariée, astreinte à des obligations professionnelles, à des temps de présence obligatoire". Cela conduit comme on se rappelle à une rupture de ce placement et à des déplacements itératifs de Christine dans une dynamique de répétition de situations de rupture, de rivalité entre familles...
Je termine en rappelant la définition que Myriam David propose du placement familial et les remarques qu'elle fait à propos de la rémunération :
"Par placement familial, on entend l'accueil permanent d'un enfant, de jour et de nuit, pour quelque durée que ce soit, par une famille rémunérée qui, pendant toute la durée du placement, assure l'ensemble des soins et de l'éducation de l'enfant, sans que celui-ci lui appartienne pour autant".
"...on reconnaît aujourd'hui que la rémunération est la pierre angulaire aussi bien du placement familial que de la garde de jour. (...) Elle garantit à la fois la qualité, la stabilité du placement et témoigne de la non-appartenance à part entière de l'enfant à la famille d'accueil. En effet, la rémunération de l'accueillant traduit le fait que l'accueil de l'enfant n'est pas un service bénévole, mais un travail rémunéré et que l'accueillant a à rendre compte de son travail à qui le rémunère, parents et/ou service" ».

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