samedi 20 février 2010

L'air du temps

Se pencher sur la question de la temporalité dans le processus psychothérapique chez l’enfant peut conduire à élargir le champ de sa réflexion en considérant la question du temps d’un point de vue sociétal.
De multiples facteurs entrent en jeu dans le développement psychoaffectif de l’enfant, génétiques, biologiques, éducatifs, familiaux… Les facteurs culturels ne doivent pas être négligés, le terme de culture à entendre dans un sens très large incluant les aspects scientifiques et technologiques ; nous pouvons dire sans trop de risque d’être contredit que les avancées à ce niveau sont en train de bouleverser notre mode de vie et jusqu’à notre façon de penser, de communiquer, d’être en lien avec les autres… Je vous renvoie sur ce thème au premier billet de ce blog en juin 2008, la note de lecture intitulée "En guise d’ouverture" portant sur le livre de Gérard Ayache, Homo sapiens 2.0
Il n’est pas question d’épuiser un sujet qui apparaît très vaste, mais simplement d’ouvrir quelques pistes.
Une des impressions qui domine notre époque est celle de vitesse, d’accélération et cette impression ne résulte pas uniquement de l’avancée en âge de l’auteur de ces lignes : les innovations technologiques se succèdent et se répandent dans le monde entier dans des temps records. Le temps pour qu’une invention telle que l’imprimerie diffuse et ait une incidence palpable dans la société a été de l’ordre du siècle ; si nous considérons des inventions plus récentes telles que l’automobile, la télévision ou la machine à laver, c’est de l’ordre de la décennie ; plus récemment encore avec l’ordinateur, Internet ou le téléphone portable, cela se mesure en années. Les nouveautés d’hier sont déjà largement dépassées, que l’on songe au bon vieux Minitel ou aux premiers jeux vidéos.
Cela confère à notre environnement un caractère très mouvant, évolutif, instable et sollicite fortement nos capacités d’adaptation… Nous avons eu ce privilège de vivre un changement de millénaire, ce qui constitue une expérience exaltante, stimulante mais aussi un brin angoissante, du fait de la part d’imprévisibilité et d’inconnu que cela comporte.
Une des conséquences palpables en est un bouleversement dans le rapport entre générations. La transmission est au cœur de ce rapport : traditionnellement, les anciens, les parents ont à charge de transmettre aux plus jeunes, aux enfants un certain héritage culturel. Or l’environnement évolue à une telle vitesse que les adultes découvrent et intègrent les innovations technologiques en même temps que leurs enfants ; il faut reconnaître que les enfants, doués d’une plus grande plasticité cérébrale, les assimilent avec beaucoup plus de facilité que leurs parents… De nos jours, ce sont les petits-enfants qui enseignent à leurs grands-parents comment se servir d’un ordinateur et surfer sur le Net ; il y a dans ce domaine une inversion flagrante du sens dans lequel s’opère la transmission d’un savoir.
Un effet corollaire de cette accélération du temps social est l’importance accordée à l’instant au détriment de ce qui peut se jouer dans la durée : civilisation du zapping, nous passons sans arrêt d’une chose à l’autre ; n’a de valeur que ce qui est nouveau, ce que vient de sortir, le scoop… Le traitement de l’information est assez exemplaire de ce point de vue… Un fait dont s’emparent les médias va constituer un Buzz sur Internet et sera oublié aussi vite qu’il est apparu, remplacé par un fait plus récent… Nous retrouvons dans ce domaine l’obsolescence rapide qui touche les produits technologiques…
En tant que psychothérapeute, nous avons sûrement à déjouer les écueils que nous pointons liés à cet emballement, ce tourbillon, ces changements à grande vitesse dans lesquels les familles d’aujourd’hui sont entraînées, avec pour conséquence perte de repère et perte de sens. La transmission entre générations ne se limite pas à celle d’un savoir-faire autour des appareils dernier cri… Une mise en perspective historique reste encore indispensable pour apprécier à leur juste valeur les choses de la vie…
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Après avoir rédigé le texte ci-dessus, j’ai pris connaissance de la chronique de Jean-Claude GUILLEBAUD dans le magazine TéléObs du Nouvel Observateur de cette semaine, une chronique que je vous engage à lire et où je retrouve certaines des idées que j’ai tenté de développer.
Deux courts extraits de cet article intitulé "Malaise dans la lecture" (TéléObs n° 2363 du 18 au 24/02/2010) :
"Je veux parler des mutations induites par Internet jusqu’au cœur même de l’acte de lire et conséquemment, de la culture elle-même. Il faut se référer au concept de "technologie définissante" proposé dans les années 1980 par l’essayiste américain Jay David Bolter. Par cette expression, il observait que, d’un siècle à l’autre, les technologies dominantes ont toujours influencé la vision du monde et des dieux que se partageaient les humains".
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"D’abord, sachons que nous ne sommes qu’au tout début de ce prodigieux remodelage intérieur et que nul ne peut encore prévoir quel en sera le point d’arrivée. Comprenons aussi que la prévalence de l’instantané, de l’immédiat, de la versatilité boulimique et de l’oubli conséquent ne gouverne pas seulement la lecture. Elle gagne de proche en proche, l’un après l’autre, tous les comportements sociaux".

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