jeudi 18 février 2010

Tout est relatif

La relativité dont il est ici question est à prendre au sens trivial du terme et non pas dans une acception scientifique, comme pourrait le laisser supposer l’illustration choisie.
Qu’il me soit permis de partir d’un constat d’une très grande banalité : la perception du temps qui passe varie avec l’âge ; tout le monde vous le dira, plus on vieillit et plus le temps paraît s’écouler vite.
Si l’on y réfléchit, cela peut s’expliquer. Si l’on se réfère à l’espace, l’appréciation de la dimension d’un objet ou d’une distance est fonction de la taille de l’observateur : un petit enfant voit les choses plus grandes, en comparaison à la perception que peut en avoir un sujet arrivé à sa taille d’adulte. Une règle analogue peut s’appliquer à la perception du temps, l’unité de référence étant alors le temps déjà vécu : une durée d’un an pour un enfant de cinq ans correspond à un cinquième de sa vie… Je vous laisse faire le calcul pour un adulte d’âge mûr qui, par exemple, a dépassé la cinquantaine, mais il est évident qu’il ne partage pas exactement la même échelle du temps. Dans notre rencontre avec l’enfant, il n’est sûrement pas inutile de garder à l’esprit cet état de fait : nous avons parfois à nous mettre à sa hauteur, physiquement, dans l’espace ; il peut être utile de tenter de le faire également dans la dimension temporelle.
Cette distorsion dans l’échelle du temps peut représenter un véritable problème quand l’enfant se trouve confronté à une institution dont la lenteur constitue bien souvent une des caractéristiques, en l’occurrence la justice. Il s’agit d’un simple constat et il ne faut voir là aucune critique particulière de cette institution, sachant qu’un reproche du même ordre peut à l’occasion nous être adressé.
Une situation vécue peut illustrer mon propos : un jeune garçon né en 1995 est victime autour de l’âge de 6 ans d’abus sexuels de la part d’un adolescent. Une fois les faits révélés, les parents portent plainte, mais l’auteur ne reconnaît pas ce pour quoi il est mis en cause et, faute d’éléments matériels probants, l’affaire est logiquement classée sans suite. Un suivi psychologique de l’enfant débute sur un CMP. Je le rencontre personnellement en 2003 dans le service de pédiatrie alors qu’il a 8 ans. Il me rapporte des éléments nouveaux qui permettent de rouvrir le dossier judiciaire ; l’affaire est alors instruite. Des témoignages extérieurs viennent confirmer le sien et permettent finalement d’obtenir des aveux au moins partiels de l’auteur des faits. Je revois l’enfant ponctuellement et de loin en loin. Le dernier contact avec lui remonte au début de l’année 2009 : à ce moment-là, l’instruction est close et le procès doit se dérouler dans les mois à venir. A cette occasion, je remets un certificat destiné à l’avocat de l’enfant où je résume l’historique de sa prise en charge psychologique en concluant ainsi :
"Il me paraît important de considérer les délais importants pris pour le traitement judiciaire de cette affaire puisque quasiment sept années séparent les faits du procès, ce qui est loin d’être anodin, rapporté à l’échelle d’un enfant : J. était encore un jeune enfant, il est maintenant dans l’adolescence, alors que le jeune mis en cause qui était adolescent est devenu un adulte. Outre la difficulté liée au réveil de souvenirs douloureux au cours des différentes phases de la procédure judiciaire, il y a lieu de prendre en compte cet effet de distorsion lié au temps qui s’est écoulé au moment où l’affaire doit être jugée".
Le cas décrit peut apparaître extrême, mais il n’est pas rare de trouver des situations comparables dans des divorces très conflictuels où les parents enchaîneront procédures sur procédures, des années durant.

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