dimanche 9 novembre 2008

«L’homme neuronal» selon J.P. CHANGEUX

Jean-Pierre CHANGEUX, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, directeur du laboratoire de neurologie moléculaire de l’Institut Pasteur a en outre présidé le Comité national consultatif d’éthique de 1992 à 1998, ceci pour ne retenir que les plus importants de ses titres et fonctions. La parution de son ouvrage en 1983 a trouvé un large écho auprès du grand public, mais a également suscité de nombreuses controverses, en particulier dans le milieu psy. Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation qui résume et synthétise sept années d’enseignement au Collège de France portant sur les progrès récents dans la connaissance du fonctionnement du cerveau.
Dès la préface, il est écrit : «Le développement des recherches sur le système nerveux s’est toujours heurté, au cours de l’histoire, à de farouches obstacles idéologiques, à des peurs viscérales, à droite comme à gauche. Toute recherche qui, directement ou indirectement, touche à l’immatérialité de l’âme met la foi en péril et est vouée au bûcher. On craint aussi l’impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpées par certains, peuvent devenir des armes oppressives».
L’intérêt du premier chapitre, L’organe de l’âme de l’Egypte ancienne à la Belle Epoque, est précisément de retracer l’historique des théories et découvertes sur le cerveau, son rôle et son fonctionnement. Ceci permet en particulier de reconsidérer les polémiques d'aujourd'hui au regard des controverses plus anciennes qui ont émaillé l’évolution des idées sur ce thème.
Dans l’état actuel des connaissances, il apparaît que le cerveau humain résulte de l’aboutissement d’évolutions multiples, phylogénétique, ontogénétique et épigénétique, se situant sur des échelles de temps très différentes.
L’évolution phylogénétique, par le mécanisme de la sélection naturelle, aboutit à une complexification croissante du système nerveux, des organismes les plus simples jusqu’à Homo sapiens en passant par nos lointains ancêtres, poissons et dinosaures. La structure même de notre cerveau reflète cette évolution puisqu’il est possible de distinguer un cerveau reptilien, le plus ancien, composé du cervelet et du tronc cérébral, chargé d’assurer le contrôle des fonctions vitales, un cerveau limbique, constitué de structures cérébrales profondes, – hippocampe, amygdales, hypothalamus… – apparues avec les premiers mammifères et qui participe à la gestion de nos émotions et enfin le néocortex, composé des deux hémisphères cérébraux qui prend une importance considérable chez les primates et particulièrement chez l’homme en étant le siège des fonctions cérébrales supérieures telles que la conscience, le langage, la mémoire et les apprentissages…
L’évolution ontogénétique, depuis la conception jusqu’à la formation de l’organisme, découle de la réalisation du programme génétique. A partir de l’union des gamètes et des premières divisions cellulaires, des différenciations vont conduire à la formation de trois feuillets – ectoderme, mésoderme et endoderme. Le système nerveux se développe à partir de l’ectoderme avec la formation du tube neural, puis des différenciations successives aboutissent à la mise en place des principales structures qui le composent.
Le développement postnatal, dit épigénétique aboutit à la constitution des réseaux neuronaux grâce aux interactions avec le milieu physique et socioculturel : l'évolution du cerveau superpose, à l'action des gènes, un développement intrinsèque coordonné par l'apprentissage et l'expérience propres au cerveau de chaque individu. Compte tenu du nombre extrêmement élevé des neurones, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards, et du nombre encore plus grand de leurs connexions, de l'ordre d'un million de milliards, il apparaît en effet que les gênes sont insuffisants pour coder l’ensemble de l’architecture du système nerveux, jusque dans ses moindres détails. Dans le débat sur les liens unissant corps et esprit, les accusations selon lesquelles la perspective neurobiologique serait réductrice ne sont pas fondées dans la mesure où la maturation du système nerveux, inachevée à la naissance, aboutit sous l'effet d’une histoire strictement individuelle et qu’elle n’est pas exclusivement déterminée par l’exécution d’un programme génétique fixé d’avance.
Dans sa conclusion, Jean-Pierre CHANGEUX peut écrire : «Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l'homme paraissent, en effet, suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais, à quoi bon parler d’ ’’Esprit’’ ? Il n’y a plus que deux ’’aspects’’ d’un seul et même événement que l’on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l’introspection), soit à celui du neurobiologiste». A rapprocher de certaines propositions de FREUD précédemment citées sur ce même sujet.

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