samedi 25 octobre 2008

Une psychologie scientifique

Je souhaite ne heurter personne avec le rapprochement des deux termes, mais je précise qu’ils se rapportent à un texte de FREUD, même si ce n’est que sous forme de projet ou d’esquisse. Si le titre n’est pas de FREUD lui-même, dès la première phrase, l’objectif recherché ne fait pas l’ombre d’un doute : «Dans cette Esquisse, nous avons cherché à faire entrer la psychologie dans les Sciences naturelles, c’est à dire représenter les processus psychiques comme des états quantitativement déterminés de particules matérielles distinguables, ceci afin de les rendre évidents et incontestables». Il est spécifié un peu plus loin que les particules matérielles en question sont les neurones.
Avant d’examiner son contenu, il peut être utile de présenter ce travail et de mieux le situer dans l’ensemble de l’œuvre freudienne. Ce manuscrit a été intitulé «Esquisse d’une psychologie scientifique» et publié en 1950 dans le livre «La naissance de la psychanalyse», un ensemble de textes tirés de la correspondance avec FLIESS qui permet de suivre le cheminement de la pensée à l’œuvre dans la découverte de l’inconscient. Cet article est bien entendu incontournable pour qui s’intéresse aux rapports entre psychanalyse et neurosciences et il est à souligner que cette problématique nous renvoie de manière quasi automatique à des questions se rapportant à l’origine : celle de la naissance de la vie psychique chez le nourrisson, celle de l’avènement de la théorie de l’inconscient…
«L’esquisse» n’est pas considéré en soi comme un texte majeur, mais son élaboration est contemporaine de la rédaction des «Etudes sur l’hystérie», en collaboration avec BREUER, qui lui constitue incontestablement un texte fondateur de la théorie freudienne, avec le décryptage qui y est proposé du symptôme de conversion hystérique. Bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’une publication du vivant de FREUD, il est donc plus difficile de le négliger en le considérant hors du champ de la psychanalyse, comme on aurait pu être tenté de le faire avec le traité sur les aphasies.
Les appréciations portées sur ce texte sont loin d’être univoques et j’invite le lecteur à réserver au moins un temps son propre jugement, le questionnement qui s’y trouve attaché se révélant assez complexe. Les lettres à FLIESS qui font référence à «L’esquisse» témoignent d’une alternance de phases d’exaltation et de phases d’abattement chez FREUD, dans la rédaction de ce travail qui finalement ne sera ni achevé, ni publié de son vivant… Il est possible de considérer que l’abandon de ce projet par FREUD vient marquer la naissance de la psychanalyse en ce que sa théorie s’émancipe par là de la neurophysiologie et qu’elle se constitue en tant qu’un champ spécifiquement psychologique ; dans cette optique, l’impasse à laquelle FREUD se trouve confronté serait structurelle et elle aboutirait à une rupture épistémologique, fondatrice de la psychanalyse, l’opposition entre neurosciences et psychanalyse s’inscrivant alors manifestement dans un mouvement dialectique. Dans une autre optique, l’inachèvement du projet de FREUD serait davantage conjoncturel et lié à l’insuffisance des avancées scientifiques dans le domaine de la neurologie à la fin du XIXe siècle ; auquel cas, il mériterait d’être repris, au regard des progrès majeurs des neurosciences accomplis depuis et c’est la voie suivie par la neuropsychanalyse qui cherche à rapprocher, sinon réunifier, les deux domaines.
«… je suis loin de penser que le psychologique flotte dans les airs et n’a aucun fondements organiques. Néanmoins, tout en étant convaincu de l’existence de ces fondements, mais n’en sachant davantage, ni en théorie, ni en thérapeutique, je me vois contraint de me comporter comme si je n’avais affaire qu’à des facteurs psychologiques. Pourquoi tout cela ne s’accorde-t-il pas pour moi ? Je l’ignore encore», écrit FREUD dans sa lettre à FLIESS du 22/09/1898. Déjà, dans le traité sur les aphasies, il exprimait une opinion semblable : «Les processus physiologiques ne cessent pas lorsque les processus psychiques commencent. Au contraire, la chaîne physiologique continue, mais à partir d’un certain moment, il se produit un phénomène psychique correspondant à chacun des chaînons (ou à plusieurs). Ainsi le processus psychique est parallèle au processus physiologique».
Quelle que soit l’opinion que l’on se forge, méconnaître «L’esquisse» constituerait à notre sens une grossière erreur car, indépendamment de la volonté de FREUD de raccorder la clinique qu’il développe autour des psychonévroses de défense à des données neurophysiologiques, ce texte, comme nous allons tenter de le montrer, aborde des notions tout à fait essentielles à la compréhension de sa théorie de l’inconscient, lesquelles seront reprises de façon plus détaillée ultérieurement, tout au long de l’élaboration de théorie psychanalytique, et ce jusque dans ses aspects les plus métapsychologiques. On y retrouve également le souci qui ne fera que se confirmer par la suite de nouer la psychopathologie à la psychologie du sujet normal, avec le postulat implicite qu’il n’y a pas de différence de nature entre les phénomènes psychiques dans l’un et l’autre cas.
L’entreprise de FREUD d’asseoir sa théorie des névroses sur un soubassement neurophysiologique a pu sembler vaine et être par la suite complètement délaissée, abandonnée au profit d’autres voies, dans un registre exclusivement psychologique. Cependant, et à l’instar de ce que nous avons pu voir à propos du traité sur les aphasies, d’une part, les hypothèses avancées par FREUD sur le fonctionnement du système nerveux se sont révélées tout à fait pertinentes et sont largement corroborées par les données scientifiques actuelles, - il apparaît encore une fois comme véritablement visionnaire de ce point de vue - d’autre part, le modèle de l’appareil psychique qui se dégage de ces hypothèses peut être considéré comme une des premières pierres sur laquelle va pouvoir s’édifier l’ensemble de la théorie psychanalytique.

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