dimanche 5 octobre 2008

J’imite, donc je suis

Encore quelques mots à propos des neurones miroirs, des phénomènes d’imitation et de leur rôle dans le développement cognitif et affectif de l’enfant. Ce rôle concerne les apprentissages, mais aussi l’empathie et l’établissement de la communication et des interactions sociales… Une défaillance à ce niveau s’observe chez les enfants présentant des troubles autistiques de sorte qu'un rapprochement peut être fait avec ce qui a été décrit sous le terme de défaut de «théorie de l’esprit» par les psychologues cognitivistes. Mais d’autres rapprochements peuvent aussi s’envisager avec certains concepts de la théorie psychanalytique.
L’intrication entre le phénomène des neurones miroirs et l’apprentissage peut être établie par certaines expériences : ainsi l’activation des neurones miroirs pour un geste comportant une certaine technicité comme jouer d’un instrument de musique ou exécuter un pas de danse sera d’autant plus importante que l’observateur possède une expérience dans le domaine considéré. Il apparaît également hautement probable que l’activité des neurones miroirs, couplée aux circuits neuroniques intervenant dans la mémoire participe à l’intégration de certains apprentissages : l’expérience la plus commune semble en effet attester qu’une tâche sera d’autant plus facilement assimilée qu’une démonstration aura pu en être faite.
D’autres expérimentations autour des neurones miroirs montrent que leur activation ne correspond pas à un simple reflet d’un geste effectué, mais qu’elle correspond véritablement à une représentation qui se construit de l’intentionnalité attachée à ce geste. Ainsi cette activation pourra s’observer alors même qu’une partie de l'action se trouve masquée par un écran. Si un stimulus auditif est associé à un geste donné, sur le modèle du réflexe pavlovien, ce seul stimulus suffira à activer les neurones miroirs. Pour des gestes analogues, mais pouvant correspondre à des actions différentes, la prise en compte du contexte dans lequel survient ce geste peut moduler la réponse des neurones miroirs, comme si une interprétation du sens du geste perçu pouvait être donnée, en fonction de ce contexte.
Il découle de ces différentes expériences brièvement évoquées que les neurones miroirs interviennent dans l’empathie, soit la capacité de ressentir ce que l’autre ressent, et qu’ils participent ainsi à l’établissement de la communication et des interactions sociales entre individus. Des expériences analogues réalisées chez l’enfant autiste dont on connaît les difficultés au plan du langage et de la communication au sens large montrent le défaut d’activation des neurones miroirs dans des situations où ils s’activeraient chez un enfant normal.
Née de travaux d’éthologie sur les chimpanzés, la théorie de l’esprit fut ensuite appliquée à la cognition humaine, notamment avec les travaux de Simon Baron-Cohen, Alan M Leslie et Uta Frith. Pour le résumer simplement, sous ce terme se trouve désignée la capacité pour un sujet de se mettre à la place de l’autre, d’adopter son point de vue en se dégageant du sien propre ; défaillante chez l’autiste, celui-ci se trouve dans l’incapacité de prévoir et de comprendre les réactions d’autrui. Il est très tentant de rapprocher ce défaut de «théorie de l’esprit» de l’absence d’activation des neurones miroirs chez l’autiste.
Quoique sûrement plus hasardeux, des rapprochements peuvent également être tentés avec certains aspects de la théorie psychanalytique et en particulier la place que peut prendre l’identification en tant que processus constitutif de la psyché, forme la plus originaire du lien affectif à l’objet*. Il s’agit en l’occurrence d’une identification sur un mode imaginaire, telle que peut la définir Lacan, sous la dépendance de l’image de l’autre… Sur ce chapitre, la référence au stade du miroir s’impose et, à titre de clin d’œil, la photo ci-dessus montre indubitablement qu’il n’est pas l’apanage du jeune enfant… l’échange de regard au travers du miroir est frappante, tout autant que l’ «assomption jubilatoire», pour reprendre l’expression consacrée…**
_________________________
* «Premièrement, l’identification est la forme la plus originaire du lien à l’objet ; deuxièmement, par voie régressive, elle devient le substitut d’un lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de l’objet dans le moi ; et troisièmement elle peut naître chaque fois qu’est perçue à nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet des pulsions sexuelles».
Psychologie des masses et analyse du moi - Sigmund FREUD
** «Il y suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification au sens plein que l'analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, - dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l'usage, dans la théorie, du terme antique d'imago.
L'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet».
Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je - Ecrits - Jacques LACAN

Aucun commentaire: