samedi 11 octobre 2008

Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images

Une citation de Jean COCTEAU et un autoportrait de Johannes GUMPP, peintre autrichien né en 1626, pour poursuivre notre propre réflexion avec une question essentielle qui se pose à tous, philosophes, spécialistes des neurosciences ou psychanalystes même si ce peut être en des termes sensiblement différents, à savoir l’origine du moi selon la terminologie freudienne ou de la conscience ou encore du cogito selon Descartes dont nous avons précédemment détourné la célèbre formule…
Lacan, dans son texte sur le stade du miroir souligne la prématurité de l’enfant à la naissance – «dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans» – et c’est un point tout à fait essentiel sur lequel il sera nécessaire de revenir.
Bien que cela constitue un exercice un peu difficile, on peut essayer de se représenter le vécu du nourrisson soumis à de multiples perceptions qui lui parviennent, du monde extérieur au travers de la vue, de l’audition, du toucher… et de l’intérieur du corps par la sensibilité intéroceptive et les sensations de plaisir et de déplaisir qui peuvent y être associées. Ces différentes perceptions restent à ce stade non intégrées et le vécu qui en résulte est marqué par le morcellement.
L’intégration de ces perceptions en un tout unifié, la différenciation entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur correspondent à des processus très complexes qui vont s’étaler sur les premiers mois ou années de la vie et dans lesquels la dimension imaginaire prend une part importante, permettant au nourrisson d’anticiper sur la conquête d’une unité de son schéma corporel par la vision de l’image de l’autre, la vision de sa propre image dans le miroir, et plus encore et de manière plus subtile la vision de soi qui peut être renvoyée par le regard de l’autre. Autrement dit, la première prise de conscience de l’unité corporelle est liée à une image extérieure à soi, celle de l’autre, du semblable ou encore, toujours en position d’extériorité, celle de soi reflétée dans le miroir.
Des exemples tirés de la psychopathologie permettent de souligner encore la prégnance de cette dimension imaginaire dans la constitution du moi.
L’observation de phénomènes d’échomimie, d’échopraxie, d’écholalie dans les troubles schizophréniques chez l’adulte est à mettre en lien avec le vécu de morcellement corporel et la dissolution de la conscience qui accompagnent ces pathologies ; ils peuvent être interprétés comme une ultime et pathétique tentative de préserver l’unité de soi et le lien avec le monde extérieur.
Chez l’enfant autiste, l’apparition du langage est couramment marquée par le phénomène d’écholalie et il est tout à fait illusoire d’espérer que l’usage de la parole pourrait d’emblée lui permettre une communication adaptée avec l’autre. Avant même l’accès au langage, il peut être également très intéressant de repérer chez lui des capacités d’imitation dans d’autres domaines ainsi que d’éventuelles réactions lorsque l’observateur qui est en face de lui se laisse aller à imiter son comportement…
Plusieurs remarques à ce sujet, en revenant une fois encore à la réalité quotidienne de nos prises en charge.
La première est que les soignants parfois se désolent de constater chez les enfants ces comportements d’imitation qui sont le plus souvent peu valorisés. Ils donnent lieu à un sentiment d’inauthenticité, on parle à leur propos d’un «faux self», d’un comportement plaqué, d’un enfant qui n’a pas de désir propre, mais qui se coule dans celui de ses parents ou de son entourage… Une vision trop péjorative de ces comportements me semble inadéquate ; il ne s’agit pas de s’en satisfaire, mais il faut sûrement les considérer comme une étape obligée, avant l’accession à une personnalité plus individualisée et autonome.
Une remarque semblable peut être faite à propos des enfants qui s’attribuent ce qu’ils ont perçu chez un autre enfant ou, inversement, qui attribuent à l’autre ce qui leur appartient en propre, dans une forme de transitivisme qu’il faut se garder d’interpréter trop rapidement comme une altération sévère du lien à la réalité et que l’on pourrait simplement considérer comme une sorte d’illusion d’optique.
La dernière remarque porte sur les effets négatifs qui peuvent découler des phénomènes d’imitation. Si jusqu’ici, il a été surtout mis en valeur leur implication essentielle dans le développement de l’enfant et l’établissement des liens sociaux, il ne faut pas occulter les difficultés qui peuvent en résulter. Prenons l’exemple d’un hôpital de jour et d’un enfant présentant des stéréotypies gestuelles… il arrive que des stéréotypies analogues puissent être constatées chez un autre enfant qui aura été au contact du premier et il n’est pas rare alors que les parents du second nous en fassent la remarque, plus ou moins teintée de reproches : «Je ne sais pas où il a pris ça…». Le même phénomène de résonance peut s’observer lorsqu’un des enfants présente un état d’agitation et de violence ; il faut reconnaître que cela peut aboutir parfois à des phénomènes de groupe difficilement gérables.
Il y a sûrement là un argument de poids en faveur d’une intégration en milieu ordinaire des enfants présentant des troubles sévères de la personnalité, lequel environnement est à même d’offrir des modèles plus adaptés qu’une institution spécialisée qui, par définition, regroupe des enfants en difficulté, sachant toutefois que cette intégration a ses limites et que le milieu ordinaire, même avec des aménagements, ne peut répondre à certaines situations. Il faut savoir se montrer pragmatique et pouvoir doser au mieux, en fonction de l’évolution de chaque enfant, prise en charge individuelle et prise en charge de groupe, fréquentation du milieu ordinaire et accueil au sein d’un milieu spécialisé… Nous n’approfondirons pas ce débat qui nous éloigne quelque peu de la question qui nous occupe, soit les rapports entre psychanalyse et neurosciences, mais il est intéressant de noter que des points d’ordre théorique et des données tirées d’expérimentations scientifiques peuvent aussi conduire à s’interroger de façon très concrète sur nos pratiques et sur des questions sociales éminemment actuelles, après la promulgation de la loi de février 2005 en faveur des handicapés.

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