dimanche 28 novembre 2010

Bipolaire

Jean – prénom d’emprunt –  est âgé de 15 ans. Il bénéficie d’un suivi psychologique depuis plusieurs années au niveau d’un CMP (Centre Médico-Psychologique) et il était prévu qu’il puisse intégrer un groupe thérapeutique dans le cadre d’un CATTP (Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel) pour Adolescents. Le médecin traitant avait prescrit depuis plusieurs semaines un traitement antidépresseur.
Il se présente avec ses parents au service des Urgences pédiatriques. Ses parents expliquent que, depuis deux ou trois mois, il ne va pas bien. Ils ont observé chez lui un fléchissement de l’humeur pouvant même aller jusqu’à l’expression d’idées suicidaires… Son humeur est cependant très variable, il est en proie à un état d’excitation inhabituel… Cet état tend à s’aggraver ; il est insomniaque et son comportement est de moins en moins cohérent… Lorsque Jean est arrivé aux Urgences, il avait eu une altercation avec ses parents ; il avait décidé qu’il ne dormirait pas dans la maison et il envisageait de passer la nuit dans le jardin… Précisons qu’en cette fin du mois de novembre, une vague de froid s’est abattue sur le pays et que les températures nocturnes se situent nettement en dessous du zéro.
Au moment de son admission, nous observons une logorrhée, soit une tendance à beaucoup parler, une tachypsychie, soit un emballement de la pensée, une instabilité au plan psychomoteur avec une incapacité à rester en place et le besoin de toujours manipuler des objets… Jean a cependant une certaine conscience des troubles qu’il présente et il accepte au départ l’aide que nous lui proposons, soit un temps d’hospitalisation afin de réajuster son traitement.
Le tableau clinique est très évocateur d’un accès maniaque. En faveur de ce diagnostic, nous retrouvons des antécédents familiaux de troubles maniacodépressifs : la mère a présenté des décompensations dépressives sévères avec des signes psychotiques associés, épisodes pathologiques ayant nécessité des hospitalisations en milieu spécialisé. Elle est encore suivie au niveau d’un CMP et elle est prend un traitement associant antidépresseur et régulateur de l’humeur. Le grand-père maternel s’est suicidé. Il n’y aurait aucun membre de la famille de la mère qui ne présenterait, sous une forme plus ou moins sévère, des troubles de l’humeur.
La décompensation actuelle de Jean semble avoir débuté par une symptomatologie dépressive ; le virage maniaque observé a sûrement pu être favorisé par le traitement antidépresseur prescrit par le généraliste. Nous suspendons bien évidemment ce traitement et prescrivons un médicament à visée sédative et un régulateur de l’humeur.
La première journée passée à l’hôpital se déroule à peu près bien, même si Jean réclame une surveillance particulière. La situation se complique le lendemain : Jean fait une première fugue… Il quitte le service sans autorisation ; il se rend au commissariat de police pour déposer une plainte pour un vol dont il aurait été victime au lycée… Ramené dans le service, il fugue une nouvelle fois un peu plus tard ; il a alors dans l’idée d’aller faire un footing en ville… Les infirmières se retrouvent débordées…  Il est encore une fois fait appel au service de sécurité de l’hôpital… Le commissariat est informé de cette nouvelle fugue. Jean réintègre le service un peu plus tard.
Le service de pédiatrie n’est pas un service fermé ; il est bien évident que les soignants ne peuvent exercer une surveillance constante auprès d’un enfant de sorte que ce genre de difficulté n’est pas évitable… Ceci constitue une limite dans les prises en charge "psy" que nous pouvons offrir : un minimum de coopération est requis chez les jeunes que nous accueillons.
Jean a tendance à s’énerver de plus en plus, il se considère "en prison" à l’hôpital, il commence à refuser les traitements que nous lui proposons. Dans ces conditions, nous n’avons d’autre choix que d’envisager son transfert dans un service spécialisé.
Plusieurs réflexions à partir de cette situation clinique. La sévérité des troubles présentés est à prendre en compte : le risque de passage à l’acte est important et Jean est susceptible de mettre sa vie en péril, soit par un geste auto agressif tel qu’une tentative de suicide, soit par des conduites dangereuses avec de sa part une complète méconnaissance des risques auxquels il s’expose.
Dans un tel contexte, il est indéniable que des mesures thérapeutiques énergiques s’imposent avec le recours à des traitements médicamenteux et une hospitalisation en milieu spécialisé à partir du moment où sa décompensation atteint un seuil d’intensité tel qu’un maintien dans sa famille devient impossible. Une seule approche psychothérapique est alors inopérante, même s’il est utile de prévoir sa poursuite, une fois rétabli un certain équilibre au plan de l’humeur.
La question du déterminisme des troubles est également à poser. Il est reconnu que les facteurs génétiques interviennent de façon importante dans les troubles bipolaires : les antécédents familiaux dans la famille de la mère de Jean sont très illustratifs de ce point de vue. Même s’ils existent et s’ils doivent être considérés, il y a donc lieu de ne pas surestimer des facteurs d’ordre affectifs, comme le fait pour Jean d’avoir été précocement confronté à des difficultés familiales liées à la pathologie mentale de ses proches.
S'il n'existe pas de données scientifiques incontestables en ce domaine, certaines études ont retrouvé des anomalies cérébrales chez des sujets bipolaires... (cf. Imagerie limbique et hippocampique dans le trouble bipolaire de l’humeur chez l’enfant et l’adolescent)
A consulter également un site consacré aux Troubles bipolaires

Aucun commentaire: