mercredi 16 juin 2010

Ilot de décélération

Je reprends là une expression plusieurs fois employée par HARTMUT Rosa dans son livre déjà cité "Accélération – Une critique sociale du temps". L’idée en est la suivante : l’accélération touche différents secteurs de la société, le progrès dans les sciences et la technologie, les évolutions des valeurs et des mœurs, le rythme de vie… Mais ces accélérations ne sont pas homogènes dans les différents domaines et au milieu peuvent subsister ce qu’il appelle des îlots ou des oasis de décélération.
Je garde en mémoire une expérience personnelle qui m’a profondément marqué et qui pourrait fort bien illustrer cette notion. Il y a très très longtemps de cela – je devais à peine débuter mes études de médecine – nanti de mon BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), je travaillais durant les périodes de vacances scolaires comme animateur de centre de vacances. Cet été-là, j’avais été embauché dans une colonie maternelle qui accueillait des enfants âgés entre 3 et 6 ans ; je m’occupais du groupe des plus jeunes. Les enfants étaient originaires de la région parisienne et la colonie de vacances se déroulait sur une période d'un mois en forêt de Fontainebleau.
Le principe qui avait été retenu par l’équipe d’encadrement était fort simple, mais d'un certain point de vue assez révolutionnaire : tout au long de l’année, les parents imposent aux enfants leur propre rythme de vie, du fait de leurs contraintes pour les transports, leur vie professionnelle… Durant cette période de vacances, ce sont les adultes qui allaient s’efforcer d’adopter le rythme de vie des enfants.
Cela commençait le matin avec le lever, le petit déjeuner, la toilette et l’habillage… S’il nous restait une petite heure pour aller faire une promenade avant le repas de midi, c’était bien le maximum… Et la promenade se déroulait sur le même principe : si un enfant s’arrêtait sur le bord du chemin pour observer une fleur, un insecte ou un simple caillou, nous nous arrêtions avec lui… Nous pouvions nous permettre cela car nous disposions d’un encadrement suffisamment nombreux (un animateur pour trois enfants sur le groupe des petits). Nous parvenions à parcourir ainsi 150 ou 200 mètres les premiers jours, un peu plus sur la fin du séjour, dans la mesure où les abords immédiats du centre avaient déjà été suffisamment explorés.
Et la même chose se répétait ensuite avec le repas de midi, la sieste, l’activité de l’après-midi, le goûter et le repas du soir…. Et de même les jours suivants… Les activités à proprement parler se réduisaient à peu de choses, la majorité du temps étant consacrée aux actes de la vie quotidienne. Paradoxalement, le temps paraissait bien rempli, dense… A aucun moment nous ne ressentions lassitude ou ennui dans ce qui pouvait apparaître, de l’extérieur, comme un temps vide et répétitif.
Je vous laisse imaginer le vécu émotionnel qui a été le nôtre quand, à la fin du séjour, après avoir raccompagné les enfants sur leur lieu de vie habituel, en banlieue parisienne, notre groupe d’animateurs s’est retrouvé dans le métro…
Aurions-nous directement débarqué de Papouasie que le choc des cultures n’en aurait pas été plus violent !!!

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